PARACELSE

II. Moyens de réalisation et méthode (pour une traduction).

SOMMAIRE

> Théophraste Bombast de Hohenheim, dit Paracelse, par Charles Le Brun

> "Sans ambages, il s'intitule Prince des deux médecines - celle du corps et celle de l'âme...", voir Paracelse, par Charles Le Brun

> Une biographie

> Bibliographie, établie par Charles Le Brun

> Deux légendes : La rose de Paracelse - Paracelse et le Diable

> Les Pronostics de Paracelse

> Le Lion septentrional (traduction inédite)

> Préface à l'Herbarius, par Charles Le Brun

> Un document inédit : Conseils pour une traduction des oeuvres complètes de Paracelse, par Armel Guerne : I - Historique  

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            Paracelse écrivit ou dicta la plupart de ses œuvres en allemand. Très peu parurent de son vivant. Après sa mort, elles furent, en différentes éditions, tantôt publiées en allemand, tantôt et surtout traduites en latin. Chacune de ces éditions comporte des variantes, des omissions et, pour les traductions latines, différentes interprétations. L'érudit Johann Huser réunit en une première édition complète les textes déjà publiés et les manuscrits qu'il put découvrir, en haut-allemand. C'est la grande édition des Bücher und Schriften des Edlen Philosophi und Medici Philippi Theophrasti Bombast von Hohenheim Paracelsi gennant (en 10 volumes in 4°, Basel. 1589 - 1591) devenue très rare et dont un bon exemplaire figure à la Bibliothèque Nationale. Une autre édition collective, latine celle-là, parut de 1603 à 1605 en 12 volumes in 4° à Francfort, suivie de la bonne édition des frères de Tournes, toujours en latin, parue en 1658 (3 tomes in-folio) à Genève. La comparaison et la critique des textes des éditions collectives allemandes et latines, d'une part, et des textes parus isolément soit en allemand soit en latin avec différents éditeurs et traducteurs d'autre part, était une tâche très difficile lorsque Grillot de Givry entreprit son travail, à cause du nombre énorme de différentes éditions et de leur rareté. Ce travail de critique bibliographique et historique a été fait, en allemand, par les professeurs Schubert et Sudhoff, en deux gros volumes (27) qui sont le premier essai de bibliographie complète ; par le professeur Sudhoff seul quant à la critique, dans Versuch einer Kritik der Echtheit der Paracelsischen Schriften (28), impérissable monument auquel il a consacré sa vie et où sont cités, décrits et soigneusement collationnés tous les manuscrits actuellement existants et toutes les éditions imprimées des ouvrages de ou attribués à Paracelse. L'essentiel de cet énorme travail forme l'incomparable appareil critique de l'édition moderne en allemand ancien des Œuvres Complètes de Paracelse (29) exécutée sous la direction du professeur Sudhoff et dont 15 volumes des œuvres médicales, théologiques et mystiques sont actuellement parus [14 volumes, en fait, plus un autre réalisé par Wilhelm Matthießen : Theophrast von Hohenheim, gennant Paracelsus Œuvres complètes , deuxième section, vol. 1, Munich, 1923]. L'autre édition contemporaine de Bernard Aschner, traduite en allemand moderne, lui fait pendant (30). Elle est moins onéreuse que la précédente, mais a moins de valeur peut-­être au point de vue historique et critique ; elle est aussi moins complète, reprenant l'édition ancienne de J. Huser.

             Le travail critique se trouve donc de beaucoup simplifié par ces travaux et, si l'on peut se séparer de l'opinion du professeur Sudhoff sur certains points, si l'on peut parfois la discuter, il n'en reste pas moins vrai que son énorme travail a acquis les fondements historiques sans lesquels toute tentative d'édition et de traduction reste toujours sujette à caution.

            Le traducteur, ayant à sa disposition l'édition Sudhoff, celle de Aschner, celle de Huser pour les éditions collectives allemandes, l'édition in‑folio des frères de Tournes, celle in 4° de 1603 ‑ 1605, pour les éditions collectives latines, et se promettant de se référer aux éditions particulières soit latines, soit allemandes pour les confronter en chaque cas litigieux, pourra donc faire le bon et définitif travail. I1 est à noter que, jusqu'ici, soit qu'on n'ait pas voulu reconnaître le fait que, sauf de rares exceptions, la langue originale de Paracelse était l'allemand, soit que le latin offrît de plus grandes facilités, toutes les traductions connues anciennes et modernes ont été faites sur le latin – qui était lui‑même déjà une traduction. Et nous ne parlons pas seulement ici des œuvres traduites mais aussi des citations faites par certains historiens et dont le choix, par ailleurs, marque soit une assez complète ignorance des théories paracelsiques soit un parti pris manifeste. Aucun travail véritablement sérieux ne peut être fait, qui n'ait pour base première et fondement le texte allemand, compulsé le cas échéant sur les éditions de langue latine. Il faut noter ici, pour notre confusion de Français, le manque total de sérieux et de compétence par quoi se signalent – et d'année en année plus manifestement – les différentes thèses ou travaux sur Paracelse depuis un demi-siècle. Les citations sont toujours les mêmes, visiblement reprises les unes des autres, faisant partie d'un jeu de phrases traduites dans lequel chaque nouvel auteur puise à son tour sans recourir au texte. Signalons aussi que le niveau intellectuel de ces travaux baisse sensiblement de l'un à l'autre et que, depuis la tentative du Docteur Durey (3I), c'est chaque fois d'une ambition plus courte et d'un enthousiasme plus attiédi que procèdent ces travaux qui ne sont même plus des compilations mais de rapides et vagues descriptions d'ensemble qu'aucune analyse ne vient préciser, qu'aucune synthèse ne vient illustrer. On aboutit ainsi à la dernière thèse en date, la plus médiocre : celle du Docteur Liénard (32) – et au dernier livre paru, celui du Docteur Allendy (33), non seulement le plus médiocre mais aussi le plus vain des livres sur Paracelse et son œuvre, donnant le pas à la vue extérieure de prétention historique sur le souci de compréhension, d'intelligence et de pénétration. Rien, pas même les pires injures ou calomnies jetées sur Paracelse, ne peut donner une idée aussi pauvre et aussi fausse de ce qu'il fut et de ce qu'est son œuvre. Rien ne saurait mieux réduire en cendres toute cette néfaste littérature (presque exclusivement médicale, il faut le dire) que la publication saine du texte auquel plus personne ne se réfère et avec lequel chacun prend de surprenantes, pour ne pas dire déshonnêtes, libertés. Aucune polémique, avant cela, ne saurait avoir raison de cette montagne de papier imprimé, dix fois plus volumineuse sans doute que les textes originaux contre lesquels s'exercent le parti pris et la mauvaise foi des auteurs – desquels il nous faut excepter, parmi les officiels, le Docteur Bouchardat (34), le Docteur Fauvety (35), le Docteur Cruveilhier (36), Cap (37), le Docteur Léon Simon (38), le professeur Grasset (39), les Docteurs Vannier et Vergnes, le Docteur Lalande, Gallavardin, et quelques autres parmi leurs disciples, homéopathes ou novateurs hardis, dont les travaux se poursuivent et dont je ne puis ici, sans leur consentement formel, dévoiler le nom [Guerne fait allusion ici au docteur Jacques-Emile Emerit, son ami, éminent acuponcteur mort en 1968.] Citons encore A. Franck (40) de l'Institut, le Docteur Hoefer qui, dans son Histoire de la chimie (41), rend justice à Paracelse en tant que chimiste, comme aussi Jollivet‑Castelot ; d'autres encore dont le nombre, si grand soit‑il, ne saurait se comparer numériquement à celui de ceux, parmi les officiels, qui se sont injustement acharnés contre Paracelse et sa mémoire, suivant en cela l'exemple de ses collègues contemporains, lesquels se sont signalés par une jalouse fureur et une complète incompréhension du trésor de science et de pensée qu'il posait devant eux. Mais si le nombre est minoritaire, l'autorité et le désintéressement des auteurs qui, sans mesurer toute la grandeur de Paracelse lui ont cependant reconnu de la valeur ou du génie dans telle ou telle branche dont ils étaient spécialistes, font grandement pencher la balance de leur côté et, bien entendu, du sien.  Et c'est ici le lieu de noter que, parmi les partisans de Paracelse (ou tout au moins parmi ceux qui n'ont pas refusé a priori l'examen de ses théories, de ses thèses, de sa science) chacun lui reconnaît telle ou telle valeur ou qualité dans 1a branche dont il est spécialiste : on a considéré Paracelse non seulement en tant que médecin, mais en tant que chimiste, chirurgien, oculiste, psychiatre, prophète, mage, kabbaliste, philosophe, théologien, écrivain mystique, etc. Pour Paracelse, la médecine telle qu'il la concevait : science des sciences, contenait et supposait la connaissance la plus étendue et l'expérience la plus grande. Dans un siècle où l'analyse a morcelé les sciences en une foule de compartiments quasi étanches, sans compénétration véritable, chacun étant le théâtre de tentatives et d'expériences particulières et chacun se voulant supérieur et doué d'autorité sur son voisin, il semble bien que la tâche insigne de rechercher à nouveau l'unité et l'harmonie dans une compréhension synthétique appartienne au philosophe ; que c'est au philosophe, et non aux médecins, qu'incombe la tâche significative en un tel temps de doter la France d'une traduction des œuvres d'un maître qui, plus peut‑être que tout autre, eut ce don immense de rassembler en lui pour en former un tout, toutes les connaissances humaines à un moment donné, d'anticiper avec elles sur les siècles à venir, de faire la somme enfin, à un carrefour particulièrement bien dessiné dans l'Histoire, juste devant la Renaissance, de tout ce qui devait être retenu d'un long passé pour le lancer dans un lointain avenir. L'actuelle tendance à ne considérer Paracelse qu'en tant que médecin – avec le sens plus étroit que l'époque donne à ce terme – doit être fermement combattue car son œuvre de philosophe, de penseur, de théologien et de mystique – pour étroitement mêlée qu'elle soit à son œuvre et souci constant de thérapeute – n'en est pas moins à la fois aussi considérable et aussi importante. Ses constantes préoccupations morales en un temps où, foncièrement, nous vivons une crise morale, son autorité de moralisateur, sa haute compréhension mystique du christianisme et le rôle grandiose qu'il sait assigner et reconnaître à l'homme, à l'individu, dans la création, le haut sens qu'il possède de la maîtrise et de l'obéissance : autant de caractères propres essentiellement à la personne de Paracelse et qui assignent aujourd'hui, plus particulièrement au philosophe, le soin d'en restituer le sens profond.     

              Non pas qu'il faille écarter les spécialistes, ni non plus oublier que Paracelse avant tout est un expérimentateur, un homme qui travaille de ses mains à tout instant et pour qui la seule spéculation idéale ne saurait suffire, car il la veut, en bon médecin, efficace et efficiente. Mais pour diriger les travaux d'établissement d'une traduction complète, conserver à ces œuvres parfois si différentes d'aspect leur unité profonde et pour en restituer l'unique accent, comme aussi pour essayer d'en faire apparaître le sens parfois caché dans de prodigieux raccourcis d'expression, cela ne peut être l'œuvre ni d'un chimiste, ni d'un médecin, ni d'un spécialiste de quelque spécialité qu'il soit, mais d'un philosophe rompu aux exercices de la pensée et entraîné à la souveraine compréhension du cœur. D'un adepte du verbe, en un mot. Le traducteur, au cours de ses travaux, compte bien entendu s'entourer de toutes les compétences particulières requises et rechercher le conseil des paracelsistes de sa connaissance, médecins, chimistes, spagiristes, philologues, historiens etc., mais il n'escompte pas avoir, à aucun moment, à abandonner l'autorité que son rôle de manipulateur du verbe lui octroie, souverainement. Et s'il espère s'enrichir – et enrichir son travail – de toutes ces leçons, il pense que l'étude et la recherche de la compréhension humaine de Paracelse, homme et penseur, la constante pénétration sympathique de l'individu, maître et dépositaire de toutes les disciplines particulières, reste le mode essentiel et sûr d'élaboration, la clef de voûte de l'édifice d'où il est possible, en cas de besoin, de projeter la lumière dans telle ou telle partie demeurée obscure. La fourmillante variété des applications de son génie exige, à défaut de supériorité de fait, une supériorité mentale acquise par la position prise au départ, dans cet énorme édifice – et nous pensons que seul un maître des travaux, juché sur les échafaudages, pourra seul la mener à bien.

Conclusion.

En résumé, la nécessité de doter la France d'une traduction française complète des œuvres de Paracelse ressort :

                         du fait que la curiosité, longtemps excitée à son sujet est maintenant parfaitement éveillée ;

                        du fait de la rareté de plus en plus grande des textes du XVIème siècle et de la connaissance de moins en moins sûre du latin chez ceux qu'il intéresse, médecins, philosophes, humanistes, poètes, etc. ;

                        du fait de la notoriété scientifique nouvelle qu'il a requise chez nos voisins, après que le branle, en quelque sorte, fut donné par des chercheurs français à ce mouvement de réhabilitation ;

                        du besoin de ruiner toute une littérature de sornettes indignes de la France et de ses penseurs ;

                        du besoin de restituer à son universalité une pensée qui risquerait, quelque temps, d'être utilisée à des fins nationalistes indignes d'elle  [ Précision qui laisse deviner que Guerne écrivit ces pages au moment de la guerre ]

                        du besoin d'enrichir, à un moment de crise et de doute, le patrimoine français d'un apport moral et idéal d'une rare vertu ;

et du seul point de vue scientifique, de combler une lacune inexcusable.

 

27) Schubert und Sudhoff : Paracelsus. Forschungen 2 vol. in 8° Frankfurt-am-Main, 1887‑1889.

28) K. Sudhoff : Versuch einer Kritïk der Echtheit des Paracelsischen Schriften 3 vol. in 8° Berlin, 1894‑1899.

29) Th. von Hohenheim gennant Paracelsus, Sämtliche Werke 15 vol. in 8° München, 1923‑1933.

30) B. Aschner : Paracelsus. Sämtliche Werke in neuzeït Deutsch 4 vol. in 4° Iena, 1926‑1932.

31) L. Durey : Thèse de médecine. Etude sur l'œuvre de Paracelse in 8° Paris, 1889‑1890.

32) René-Albert Liénard : Paracelse (Théophraste. Bombast von Hohenheim. 1493‑1541) sa vie, son œuvre, étude historique et critique in 8° Lyon, Bosc Frères, 1932.

33) Allendy : Paracelse, le médecin maudit in 12° Paris, 1937.

34) A. Bouchardat : Nouveau formulaire magistral in 12° Paris, 1840 (Introduction).

35) Ch. Fauvety : Le magnétisme au siècle de Paracelse in 8° Paris, 1856.

36) Cruveilhier : Article in Revue de Paris, juillet 1857. Philosophie des sciences, œuvres choisies in 8° Paris, 1862. Paracelse, sa vie, sa doctrine Gazette médicale, 7 mai 1842.

37) P.A. Cap : Etudes biographiques pour servir à l'histoire des sciences. Deuxième série, chimistes... in 8° Paris, 1864.

38) Docteur Léon Simon : Paracelse, sa vie, sa doctrine Gazette médicale, 7 mai 1842.

39) Docteur Henri Grasset : L'Histoire de la médecine et Paracelse in 8° Paris, 1911.

40) Adolphe Franck : Paracelse et l'alchimie au XVIème siècle (préface Tiffereau, L'Or et la transmutation des métaux) in 16° Paris, 1889.

41) Docteur Ferdinand Hoefer : Histoire de la Chimie in 8° 2 vol., Didot Frères, Paris, 1866-1869.

 

Mise en œuvre.

           La traduction doit être faite sur le texte original allemand, appuyée et éclairée par les traductions latines ses contemporaines, enrichie de tous les renseignements qu'on pourra tirer des confrontations de textes, des dictionnaires paracelsiques, des interprétations qui ont été données par d'éminents paracelsistes, etc. Ce lourd travail critique étant facilité par les travaux des devanciers. Cette traduction doit être faite dans un esprit philosophique par un esprit synthétique, entouré du conseil des spécialistes des différentes questions.

Moyens.

Le traducteur doit avoir à sa disposition (outre la possibilité de recourir aux éditions particulières) : l'édition Huser (allemand ancien), 1589‑1591 - l'édition Sudhoff (allemand ancien), 1923‑1933 - l'édition Aschner (allemand moderne), 1926‑1932 - l'édition de Tournes, 1658 - l'édition de Palthenius, 1603.

Délais.

Un travail de cette sorte, ne devant pas comporter moins de 32 volumes réalisés (ce qui implique, outre le travail de traduction lui‑même, un énorme travail d'érudition, de recherche, de comparaison et d'enquête – dont une bonne partie est faite, il est vrai), on ne peut guère fixer de délais : ceux demandés pour l'élaboration des premiers volumes devant se trouver raccourcis au fur et à mesure qu'avancera le travail, la parution pourra se faire avec une accélération constante.

Présentation.

Une étude personnelle du traducteur sur Paracelse, sa vie, sa personne, ses œuvres, accompagnera l'édition des Œuvres Complètes, apportant à la fois un éclaircissement historique et une synthèse philosophique de cet énorme sujet (avec une bibliographie complète). Chaque volume comportera un portrait de Paracelse et la publication de documents s'y rapportant.

Ordre de publication.

On peut prévoir, d'ores et déjà, l'ordre de publication comme suit : les deux premiers volumes ayant été traduits par Grillot de Givry ne devant paraître qu'à la fin, à moins qu'un accord ne puisse se faire avec l'éditeur, permettant leur réutilisation.