LOUIS MASSIGNON ET LA PALESTINE

"Nul ne peut rester les mains repliées sur soi à l’heure où les mains de tous doivent former une longue chaîne de solidarité, de l’Orient à l’Occident."

Cardinal Roger Etchegaray, 8 mai 2002, à propos de Bethléem

 

 

SOMMAIRE

Historique (1917-1949) -- Conclusion - Documents

Voir aussi Message de Noël 2003 du Patriarcat Latin de Jérusalem - Nazareth et nous, Nazaréens, Nasara (1948)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Bande de Gaza, novembre 2001

 

INTRODUCTION

Sur la question de la Palestine, Louis Massignon, qui fut le dernier des orientalistes français, s’est trouvé à contre-courant de la majorité des intellectuels français, dès 1917 (déclaration Balfour) et jusqu’à sa mort, en 1962. Sans doute un Paul Claudel, un Jean-Paul Sartre n’ont-ils jamais donné leur parole aux Arabes, comme lui-même en 1908, sans doute ne se sont-ils jamais souciés de cette hospitalité dont il avait fait le motif de toute sa vie : en mémoire d’Abraham, « le père de tous les croyants ». Quoi qu’il en soit, au sionisme « intéressé » du premier, en 1951, Louis Massignon avait déjà répliqué, trente ans auparavant, en remarquant que la question musulmane de la Palestine ne se résoudrait pas avec de l’argent, et à la « neutralité » du second, dans les années 60, il aura donné antérieurement le témoignage de plus de dix années d’engagement pour la paix dans la Justice en Palestine.

 

Sioniste, Louis Massignon, le fut indubitablement, à partir de 1917, au moment de sa rencontre avec Chaïm Weizmann, à Jérusalem. Dans les années 20, il est même à peu près seul en France à porter un intérêt au Foyer juif. A contre-courant, donc, lorsqu’il s’agira de sensibiliser l’intelligentsia français à la revendication sioniste, sur le thème du « droit de retour » d’Israël : « Ils se souviennent de leurs morts, et cela suffit pour créer un droit à revenir près d’une tombe ». Mais, à contre-courant aussi, à partir de 1936, quand il s’élève contre la colonisation de la Palestine, puis sa partition et, enfin, avec la création de l’Etat d’Israël, en 1948, contre le douloureux problème des « personnes déplacées » et des camps de réfugiés. L’incompréhension qui accompagne ce qu’on appellera volontiers, à partir de 1948, les « propos excessifs» de Massignon vient de ce que le sionisme aura perdu sa légitimité pour l’orientaliste dès 1927, alors qu’il ne deviendra légitime pour la plupart des intellectuels français qu’après 1945. Autant dire qu’ils ne se sont jamais rencontrés. C’est pourquoi, d’ailleurs, Louis Massignon se trouvera à nouveau seul entre 1936 et 1948 pour dénoncer le mode adopté par le sionisme du « retour d’Israël » en Palestine, autrement dit, selon ses mots, « la technique parfaite et implacable du plus exaspérant des colonialismes ».

Ces dates ont leur importance, car elles permettent de situer sur l’échelle historique du sionisme, les prises de position de Louis Massignon en relation avec ce qu’on pourrait nommer la tournure des événements, depuis la déclaration Balfour qui stipulait que « rien ne serait fait qui pourrait porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine » jusqu’à la création de l’Etat d’Israël, « en vertu du droit naturel et historique du peuple juif », qui chassera bientôt 1 million de réfugiés (1949) hors de leurs terres. Certes, il aura été sioniste, en 1917, mais il attendait aussi que le « retour d’Israël » en Palestine soit assorti d’une « entente loyale », selon son mot de 1921, entre juifs et palestiniens. Il aura été anti-sioniste dès 1927, tandis que ce retour s’effectuait comme un nouveau colonialisme, contestant aux populations arabes, chrétienne et musulmane, le droit de vivre en paix sur leurs terres ancestrales, et, enfin, anti-sioniste extrémiste lorsque la Palestine disparaîtra au profit de l’Etat d’Israël, en 1948, c’est-à-dire au moment où ces populations palestiniennes seront purement et simplement expulsées de chez elles et regroupées dans des camps de réfugiés.

On peut estimer que, de ce point de vue, Louis Massignon a été autrement plus lucide que la plupart de ses contemporains, prophétique même, en dénonçant très tôt le colonialisme juif qui devait aboutir à un conflit qui demeure dans l’impasse depuis des décennies. Qui d’autre que lui, d’ailleurs, a décrit aussi nettement la genèse de ce conflit : « Israël, l’éternel proscrit, qui venait d’être décimé par les massacres hitlériens, et aspirait à se regrouper dans le « national home » à lui reconnu depuis 1917, adoptait le colonialisme, et décidait de faire fuir, en les terrorisant par des attentats méthodiques, les laboureurs arabes musulmans et chrétiens, pour loger ses propres immigrants et réfugiés » ?

Enfin, il serait sans doute demeurer fidèle au sionisme si le « retour d’Israël » s’était déroulé loyalement. Le changement radical de son attitude à l’égard du sionisme s’explique, en effet, par l’idée qu’il s’en était faite : « Le sionisme est, et doit rester la loyauté d’Israël vis-à-vis des nations ». Loyauté, donc, de la part des « nouveaux habitants d’origine israélite », qui passe par une présence en Palestine, respectueuse du pays et des habitants qui y vivent  : « Ceux qui voudront participer franchement à la vie nationale en Palestine devront se dire exclusivement Palestiniens ». On sait que cette loyauté, maître-mot du vocabulaire de Massignon, est rapidement mise à mal, sous le mandat britannique, par les sionistes eux-mêmes, tandis que va grandissante chez les Palestiniens chrétiens et musulmans leur exaspération, mot qui reviendra fréquemment sous sa plume. Ainsi, au fur et à mesure où le sionisme s’écartera de sa loyauté grandira l’exaspération des Arabes musulmans et chrétiens de Palestine, et, dans le même temps, pour Louis Massignon s’évanouira l’espoir d’une réconciliation – autre mot-clé – entre Juifs et Arabes. Son désir de justice autant que son sens de la loyauté – comme de la Parole donnée – ne pouvaient que l’incliner, en quelque sorte naturellement, à partager l’exaspération des Arabes palestiniens.