"A la suite d'une préparation d'artillerie
de plusieurs jours, bombardement de positions avancées, la "ville arabe de
Nazareth" a été occupée le 17 juillet I948 par les troupes sionistes,
composées principalement de volontaires de l'Irgoun.
Sous un prétexte
stratégique illusoire; pour mieux marchander l'échange de la Galilée
contre le Negueb avec les pétroliers de l'O.N.U.
Nous sommes à une
époque moderne, où on laboure les cimetières et où l'on va féconder
artificiellement les mères.
A part quelques nonnes et quelques
moines, qui, par préjugé topographique, pour "composer le lieu" de leur
méditation, optent d'aller vivre et mourir en Terre Sainte, sur le terroir
natal de la chrétienté, la prise de Nazareth ne pouvait guère émouvoir
l'opinion dans cet Occident chrétien, qui s'est aménagé en repli une "santa
casa" de Nazareth à Lorette, en Italie.
Et, à Paris, samedi, il fallait aller
trouver un Russe réfugié ou une Syrienne passante, pour en souffrir avec
eux, pleurer de honte filiale, sur l'Orient chrétien trahi.
Déjà, il y a mille ans, la chrétienté
occidentale avait trahi.
Mobilisée par la croisade pour libérer
les Lieux Saints de l'occupation musulmane, qui y tolérait, elle, des
chrétiens arabes, parce que l'Islam honore la sainteté de Jésus, et vénère
la pureté de sa Mère, elle avait vite cédé, à cette époque de
sentimentalité naïve et barbare, au machiavélisme des politiciens
annexionnistes, avides d'exploiter et d'asservir leurs frères chrétiens
d'Orient.
Aujourd'hui, la chrétienté fait mieux
encore.
Modernisée, américanisée, elle ne croit
plus au "mystère des lieux d'élection" pour son salut.
Elle s'en remet, les yeux
fermés, à des techniciens internationaux, qui ont osé choisir la Terre
Sainte comme champ d'expériences pour une industrialisation étouffante,
remplaçant la main-d'oeuvre misérable des Arabes par des pionniers hébreux
sélectionnés, dégagés de tout respect religieux pour ce terroir vénérable
qu'ils disséqueront comme des carabins athées, à qui le contrôle de
l'O.N.U. rappellera d'avoir quelque intermittente commisération pour des
touristes Cook venant y visiter les ruines des dévotions périmées.
Nazareth, en
1936, s'était rebellée, quand avec la complicité britannique, des colonies
sionistes avaient voulu s'y installer à ses portes, elle, qui, depuis
mille six cents ans, interdit à ceux qui doutent de Marie d'y habiter (il
n'y a à Nazareth que des Arabes orthodoxes, catholiques et protestants,
avec les Musulmans).
En I948, les Sionistes
nous affirment que, s'ils y mettent sous séquestre les biens des habitants
arabes fugitifs, c'est par mesure de protection; que s'ils malmènent, non
sans dureté, ceux des habitants qui auront caché des "soldats ennemis"
(leurs derniers défenseurs, Arabes palestiniens depuis mille trois cents
ans, Syriens voisins et volontaires musulmans venus du lointain Pakistan,
pour défendre des Lieux Saints), c'est pour leur inculquer un nouveau
loyalisme : envers cet État que l'O.N.U. va reconnaître à Israël, alors
qu'en droit public international, la chrétienté une n'existe pas.
Il y a,
naturellement, des sentinelles de l'Irgoun, pour veiller à la place des
Franciscains, sur la Crypte de l'Annonciation.
Sur le lieu où
le coeur simple d'une jeune Juive de quinze ans a conçu le Salut du monde.
Jadis; oui, la cloche
de l'Angélus, que j'entends, me rappelle cet événement du passé
comme un coup d'épée, mon âme n'est pas assez vierge pour y entendre déjà
l'Ange du jugement dernier, et ma paroisse n'est tout de même pas la
Maison de Nazareth, où Foucauld m'a mené. Je voudrais croire à un minimum
de "respect tactique" de l'Irgoun pour cette Crypte. Mais il me rappelle
le "respect" anticlérical de ce factionnaire français au Saint-Sépulcre,
en 1918, qui disait, à la relève, avec son accent faubourien : "Il
faudrait tout de même savoir qui c'était, ce nommé Jésus-Christ ?"
C'est bien le même
manque de pudeur, et rien n'est plus poignant, je parle pour ceux qui
aiment, que voir l'infinie pureté méconnue, la radieuse vérité offensée,
plus elle se tient hors d'atteinte. Et, à Nazareth, l'insulte du doute
est pire qu'au Saint-Sépulcre : parce que c'est mieux et plus qu'un
berceau, c'est là où tout commence, pour chacun de nous : quand on
comprend; la pensée, ici-bas, doit être conçue en un lieu pour s'exprimer
et être comprise.
Le Sionisme, qui néglige la sainte
liturgie hébraïque, ne comprend pas qu'en prenant Nazareth avec ses mains
sanglantes, il imite, au fond, Antiochus ou Pompée cherchant le Dieu
auquel ils ne croyaient pas, derrière le voile du Temple.
Qu'y trouvera-t-il ? puisqu'il n'y
a plus rien, lui avoue la chrétienté moderne.
Pourquoi la Samaritaine irait-elle
encore puiser au Puits de Jacob, puisqu'on prétend, désormais, trouver, en
tout lieu, l'adoration en esprit et en vérité ?
Le malheur, c'est que les
conditions, pour trouver la source de vie éternelle, n'ont pas changé.
Tout chrétien, pour oeuvrer le salut commun, doit "rentrer dans le sein de
sa Mère", comme Jésus disait à Nicodème, et se faire Nazaréen, "Nasrânî",
comme nous appellent, très justement, les Musulmans, Arabes et non-Arabes.
Pèlerins, citoyens spirituels de
Nazareth, nous ne sommes pas quittes envers Celle qui y habite toujours,
par Sa grâce, tant que nous ne lutterons pas pour son indépendance.
"J'en appelle à toutes les mères",
disait Marie-Antoinette à ses juges lui répétant ce que son fils avait dit
: qu'elle l'avait souillé.
Tant que le peuple hébreu doutera
de l'honneur de Marie, nous, chrétiens, Nazaréens, ne pourrions croire à
ses assurances "tactiques" de respect pour notre foi, qu'en manquant de
vénération filiale; j'en appelle à tous les fils d'adoption que Jésus a
donnés à cette Mère sur le Calvaire.
Je n'essaie pas de pénétrer les motifs du
silence que gardent, devant la prise de Nazareth, les chefs, quels qu'ils
soient de la chrétienté. Est-il décent, pour des fils, de laisser prendre
les clés, les portes de la maison de leur Mère par des parents à Elle, qui
l’ont reniée de son vivant, et n'ont pas encore reconnu qu'Elle était, et
est toujours innocente et pure; en cette Palestine où, depuis treize
siècles, la présence mystérieuse de l'Islam arabe demande à Israël de le
reconnaître avec lui.
Ni en Palestine, ni ailleurs, le monde
n'aura de paix dans la justice tant qu'Israël ne révisera pas le procès de
la Mère de Jésus; au bout d'un an, il faut le redire; et tous les efforts
d'hommes justes comme Jules Isaac et Sholem Asch, pour faire admettre
Jésus comme martyr en Israël, se heurtent à cette question préalable.
Il y a quatre mois, le président
de l'Université hébraïque de Jérusalem m'exprimait si fortement sa
réprobation des injustices de l'Irgoun, au nom de la liturgie sainte
d'Israël, que je lui avouais que Marie est le vivant symbole des
Fiançailles de la Thora avec le Peuple de Dieu, selon l'Esprit. Sa
réponse doutait de la réalité des symboles, dont les cabalistes ont, en
effet, abusé. Comme cet ancien séminariste qui écrivait, naguère, que
seuls des "irréalistes sentimentaux" peuvent mêler la sainte Vierge à la
question de Palestine "où Elle n'a rien à voir"
(sic).
La prise de Nazareth prouve
qu'Elle a, hélas ! beaucoup "à y voir". Devant la Crypte de
l'Annonciation, le Sionisme se heurte au Quatrième commandement du
Décalogue. "Honore ton père et ta mère", si tu veux vivre. Honore les
vrais parents du Messie, l'Esprit de Dieu, et la Vierge d'Israël.
Mais nous, chrétiens, les honorons-nous ?
Article paru dans la Vie
franciscaine, 1948
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