"Si les petits-fils du prophète sont célébrés,
dans la poésie des peuples islamiques, comme de radieux héros ou comme les premiers
martyrs, leur mère, Fatima, fut investie d'un rôle que l'on pourrait qualifier de mater
dolorosa. Cette femme disparue déjà depuis presque un demi-siècle à la mort de
son deuxième fils, est aux yeux des Shi'ites supérieure à tous les êtres
humains,
excepté Mahomet et 'Ali. les noms pour la qualifier sont nombreux : zahra,
"l'éblouissante", batul, "la vierge", kaniz,
"la jeune fille", ma'suma, "celle qui est à l'abri des
péchés", très utilisés par la population shi'ite. Plus encore : elle est non
seulement celle qui intercède en faveur de tous ceux qui pleurent son fils Husaïn, mais
aussi dans une spéculation mystique, umm abiha, "la mère de son
père". Louis Massignon
Le plus connu est celui de
Zahra
"Pourquoi s'appelait-elle aussi Zahra? Parce que
Zahra signifie brillance et que Fatima était telle que, quand elle se tenait dans le mirhab,
la lumière qu'elle dégageait était visible par tous les gens des cieux, de la même
façon que la lumière des étoiles est visible par les gens de la Terre. C'est pour cette
raison qu'elle fut appelée aussi Zahra".
Plus énigmatique est celui de
Umm Abîhâ,
autrement dit "Mère de son Père"
L'interprétation commune consiste dans le rôle que
Fâtima tint aux côtés de son père à la mort de sa mère Khadîja. Pour Ali Shariati,
c'est la sollicitude toute particulière de Fâtima à l'égard de son père - en
particulier lorsqu'il était persécuté par les Quraïchites - qui lui vaut ce surnom
: "With her pure, child-like behavior, she sympathesizes with him. It is
because of this that she comes to be called umm al-abiba, the mother of her
father."
Mais il est d'autres interprétations possibles : "Mère de son père" est
paradoxal, et insolite ; il contient en germe tout ce que l'hyperdulie shi'ite a pu rêver
de plus passionné comme "dévotion à son père", chez Fâtima ; - ainsi la
critique orientaliste s'est efforcée de le minimiser. Littéralement, Robertson Smith y
voit la coutume tribale du matronymat, invitant Fâtima à nommer son fils
"Mohammed". Mais Fâtima n'a pas eu de "Mohammed" comme fils (cf. Ibn
al-Hanafiya) ; elle et Ali voulaient voulaient l'appeler "Harb" ; et c'est le
prophète qui a fait changer deux fois ce nom ; pour Hasan, puis pour Husayn ; d'où le
nom "Muhsin", du 3e.
Symboliquement, Fâtima est "la mère de son
père", la substituée à Amina-bt. Wahb [la mère du Prophète ]. Parce que, selon
une tradition très archaïque, Muhammad a été orphelin, au sens le plus profond du
terme, ni son père, ni sa mère n'ont pu lui apprendre à prier Dieu, qui a voulu être
son Hôte unique, direct (...). Et parce que Dieu n'a pas permis à Muhammad d'intercéder
pour le salut de sa mère (...). Dieu l'a fait naître circoncis. A la mort du Prophète,
Fâtima a été véritablement "Thaklâ", en latin, Mater Orbata (...)."
Louis Massignon, "L'oratoire de Marie à
l'Aqçâ", Opera minora, I, P.U.F., 1969
D'autres noms encore pour Fâtima : al-Batul (la vierge)
/ al-Azra (la toute pure) / Sayyeddatun Nisa (la Souveraine des femmes) / Afzalun Nisa
/ Khairun Nisa (la Meilleure des femmes) / Mariam al-Kubra / al-Muhraka (Celle qui est bénie de Dieu)
/ Al -Siddîqa (la Véridique) / Al Muhadissa (Celle qui a parlé à sa mère
dans l'utérus avant sa naissance)
Quant à ce dernier nom, il fait référence à la
tradition suivante :
"Lorsque Khadijâ était enceinte de Fâtima, celle-ci
parlait à sa mère. Khadîja avait gardé le prophète dans l'ignorance de ce fait,
jusqu'au jour où Mohammed entendit Khadîja parler alors qu'il la savait seule. Elle lui
apprit donc que c'était l'enfant qui dialoguait avec elle. Mohammed répondit :
"Réjouis-toi, Khadîja, pour cette enfant que Dieu a voulu pour être la mère de
onze de mes successeurs qui viendront, après moi et après leur père ['Ali]."
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