Corinne BAYLE

Gérard de Nerval, l'Inconsolé

Corinne Bayle, Gérard de Nerval, l’Inconsolé, biographie, Éditions Aden, 2008.










Nerval, par Armel Guerne








Corinne Bayle a consacré à Nerval une première étude, parue aux éditions Champ Vallon, en 2001 : Gérard de Nerval, la marche à l’Étoile.  


Voir aussi

Rouges Roses de l'oubli, par Corinne Bayle

Novalis, Semences, traduit par Olivier Schefer, Allia, 2004

Corinne Bayle, Note, juin 2004

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 Gérard de Nerval

Gérard de Nerval est, en France, « l’écrivain qui a le mieux compris de l’intérieur l’esprit germanique le plus subtil et le plus grave ». C’est partant de cette affirmation que Corinne Bayle a composé sa biographie du poète ; elle y décrit un « Gérard très germanique », selon son expression, et cette approche, toujours documentée et parfaitement argumentée, confère à son Gérard de Nerval, l’Inconsolé toute son originalité, avec des « percées » qui sont tout à fait neuves. Par exemple, à propos de Novalis, à la question de comprendre pourquoi Nerval, si plein de l’Allemagne romantique, et malgré son évidente proximité avec lui, n’a jamais mentionné son nom, et semble même ne s’être jamais intéressé à son œuvre.

       On croyait que la présentation partiale, presque caricaturale du poète romantique allemand, que Henri Heine avait donnée dans l’Europe littéraire du 10 mai 1833, et reprise deux ans plus tard dans De l’Allemagne, avait détourné Nerval de Novalis : « [Novalis], avec ses images idéales, flotte toujours dans les nuages » ; « La nuance rose [?] qui domine dans les écrits de Novalis n’est pas couleur de la santé, mais l’éclat trompeur de la phthisie [sic] », etc. Le fidèle ami de Nerval, Théophile Gautier, avait bien retenu, lui, la leçon, qui parlera de Novalis comme d’un « des auteurs les plus subtils, les plus raréfiés, les plus immatériels qu’ait produits le spiritualisme allemand » ; et comme Gérard de Nerval s’était « identifié » plus tard à Henri Heine, on en déduisait qu’il lui avait emprunté son jugement sur Novalis, sans chercher à en apprendre plus du poète. Corinne Bayle soutient au contraire que Nerval a eu connaissance dès 1832-33 des traductions (même fragmentaires) de l’œuvre de Novalis par Xavier Marmier, parues dans la Nouvelle Revue germanique, et son argumentation convainc. Du coup, elle établit des rapprochements inédits entre les œuvres des deux poètes, en particulier entre le troisième des Hymnes à la Nuit et Aurélia. Ces rapprochements éclairent d’un jour nouveau la démarche poétique de Nerval, et Corinne Bayle en tire avec pertinence la conclusion que « l’intérêt de Nerval pour Novalis pourrait prendre sa source dans une espèce de fraternité ».

       Après l’Allemagne, l’Orient. Lorsqu’il embarque à Marseille, c’est vers son propre Orient qu’il s’achemine. On connaît les différents épisodes de son périple en Égypte (où vécut le calife Hakem), au Liban, auprès de ces maîtres druzes qui « sont les francs-maçons de l’Orient », et qui s’achève à Constantinople (1843). L’initiation du « louveteau » y a toutes les apparences d’une initiation manquée. Corinne Bayle décrit longuement les sources occidentales du syncrétisme de Nerval et de ses spéculations occultes, lesquelles déboucheront au final sur la folie. C’est qu’il est des « portes mystiques » : le poète ne les franchira qu’au dernier moment, dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, quand il verra s’avancer au-devant de lui, mourant, une jeune fille à la ressemblance de son âme, une inconnue dont il avait cherché vainement les traits sur le visage des jeunes filles du Valois, des cantatrices et des reines.

       Car Nerval est aussi le poète de l’amour, d’une amoureuse quête qui  commence avec une absence, celle sa mère, morte au loin, qu’il n’a pas connue. C’est avec infiniment de sensibilité que Corinne Bayle évoque les amours malheureuses du poète. Malheureuses, car on ne connaît finalement aucune liaison à Gérard de Nerval, dont la vie est traversée de nombreuses figures féminines, rêvées, idéalisées, sublimées, intériorisées… Mais n’est-ce pas que sa vocation à l’amour ne pouvait s’accomplir qu’auprès d’une Mère, d’une Reine ou d’une Déesse ? Singulier destin du poète, à qui Corinne Bayle n’attribue finalement qu’un amour sans espoir, pour la brune Marie Pleyel, et une unique passion, pour la blonde Jenny Colon. Et son intuition se révèle bien remarquable : « Qu’elle [Jenny Colon] ait été la maîtresse d’autres riches protecteurs, marié à un musicien et mère de plusieurs enfants, ne change en rien la possibilité que Gérard ait fait d’elle le garant de son rêve. Il est parfois des rencontres qui donnent le sentiment de la coïncidence intense entre le songe et la réalité. Je veux croire qu’il en fut ainsi pour deux êtres que l’existence ne destinait pas à vivre sur terre cette passion, et que cette passion fût ou non partagée (tout incline à croire qu’elle ne le fut pas, en effet) n’interdit pas que cette simple mortelle, peut-être insignifiante chanteuse, médiocre personnalité ou célébrité surfaite, fixât un moment les fantasmes du poète. Et que cette illusion ait donné lieu à tant de pages magiques suffit peut-être à la justifier. »

       La biographie de Corinne Bayle témoigne d’une réelle familiarité avec l’œuvre de Nerval, d’une intimité singulière avec le poète : « Il m’accompagne, écrit-elle, comme une ombre familière, une figure tutélaire, plus proche que bien de ceux que je croise chaque jour, ou presque. » Ce sont de telles dispositions qui donnent leur sens aux biographies des poètes, car il faut des cœurs qui les comprennent et qui, sans qu’on en sache le pourquoi, établissent avec eux, à travers les siècles, une relation fraternelle, ou maternelle, parfois aussi une étrange relation amoureuse.