Je te dirai encore ses yeux
sombres, qu'elle dissimule, d'un mouvement de la tête, pour voiler
cette Lumière d'au-delà qui soudain vient à la lumière, pour ne pas
trahir leur secret, et la courbe de son visage pur comme la noble
perle, sa chevelure dorée, les doigts blessés de sa main gauche et
la rose étoilée, sur son bras, ce "stigmate" de l'amour qui
rappelle que sur la Croix d'Or fleurit la Rose d'Argent.
*
"Dans
le jardin de la clinique, il me semble que Gérard
discourt tout seul de l'autre côté d'une vitre; je
l'entends distinctement, malgré l'étouffement des sons.
En réalité, je le devine plus que je ne l'entends. Je
lis sur ses lèvres et il me parle de moi."
"Il est le chevalier qui
m'offre des fleurs et des mots émouvants, et je ressens
ces paroles comme autant d'apaisements."
Ainsi Gérard de Nerval,
comme une "ombre tutélaire", ne cessera-t-il pas de
demeurer aux côtés de l'auteur de ces Rouges roses
de l'oubli qu'un douloureux souvenir hante, - qui
constitue son
secret -, et
qui ne lui a plus laissé que "les livres et les fleurs".
Parmi ces fleurs, seulement des roses, roses communes et
roses rares, roses d'éternité -
Novalis - et roses quintessentielles, qui
accompagnent le cheminement initiatique de l'auteur tout
au long de l'ouvrage, - qui se distingue par une rare
prose poétique. Ces roses deviendront, au terme de son
initiation au souvenir et à la mort, toutes, roses de
l'oubli, ou encore une seule rose, Rosa magnifica, "la
rose rouge de l'oubli".
*
« Souvent,
j'ai pensé que mourir valait mieux que la non-vie dans
laquelle je me suis enfermée depuis la fuite délibérée
d'un jeune homme trop aimé. J'ai envié Gérard et son
courage affolé. J'ai admiré l'étrange résolution de
Friedrich von Hardenberg, dit Novalis, à la mort
prématurée de sa très jeune fiancée, Sophie von Kühn :
dans son journal, il choisit de continuer à vivre pour
décider de sa propre mort, seul moyen de rattraper la
disparue, transcender la nuit. Avec une énergie d'âme
peu commune, il se fortifie chaque jour dans cette
résolution qui lui offre l'intuition illuminante, face à
la tombe de l'aimée, que Sophie est très proche,
seulement de l'autre côté de l'opacité des choses (il la
rejoindra quatre ans plus tard). Dans mon cœur, toute
lecture qui évoque un deuil vivifie une brûlante
griffure ; cette fidélité procure une intense félicité
au croyant, mais l’ode à la défunte répète un exil de
chaque instant »
« Maintenant revenu de
toutes ses erreurs, Gérard répète des connaissances
livresques qui le détachent d'une réalité trop pénible.
Dans notre marche à travers le parc triste d'un hôpital,
il continue de rêver à la Rosa sancta, croisement
probable entre Rosa gallica et Rosa phoenica,
désignée désormais comme Rosa x richardii,
dont on a retrouvé la trace au cours de fouilles,
celles des tombes de Hawara, en Égypte. En Perse, les
roses, sans doute importées de Chine, étaient cultivées
pour leur parfum et leur beauté dans de magnifiques
jardins clos, dont le nom, paradesha, a donné à
l'Occident le mot paradis. Au XI° siècle, le
poète, philosophe et mathématicien Omar Khayyam associa
dans ses quatrains (Ruba'iyyat) les femmes, les
roses et le vin. Depuis la fin du XIX° siècle, un rosier
de Damas (Rosa x damascena) porte en Angleterre
le nom du poète qui souhaitait sa tombe en un lieu où le
vent du Nord amènerait des graines de rosiers : un
botaniste en rapporta du cimetière de Nishâpur. «Jamais
dans le sommeil la rose du bonheur n'a fleuri pour
personne » écrivait le poète persan, dans sa sagesse.
Gérard a souhaité prouver le contraire, et il a
échoué. »
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