Corinne BAYLE

Rouges Roses de l'oubli

 

 

La rose à cinq pétales, placée au centre de la croix n'est-elle pas le symbole de la "quintessence"?

 

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Voir aussi

Novalis, Semences, traduit par Olivier Schefer, Allia, 2004 

Corinne Bayle, Note, juin 2004

Gérard de Nerval, l'Inconsolé, 2008 [Nouveau]

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Corinne Bayle est également l'auteur de Gérard de Nerval, La marche à l'Étoile, Champ Vallon, 2001

Nerval

Nerval, Je suis l'autre

 

Hacine

Hacine, dessin original de Gérard de Nerval 

 Je te dirai encore ses yeux sombres, qu'elle dissimule, d'un mouvement de la tête, pour voiler cette Lumière d'au-delà qui soudain vient à la lumière, pour ne pas trahir leur secret, et la courbe de son visage pur comme la noble perle, sa chevelure dorée, les doigts blessés de sa main gauche et la rose étoilée, sur son bras, ce "stigmate" de l'amour qui rappelle que sur la Croix d'Or fleurit la Rose d'Argent.

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"Dans le jardin de la clinique, il me semble que Gérard discourt tout seul de l'autre côté d'une vitre; je l'entends distinctement, malgré l'étouffement des sons. En réalité, je le devine plus que je ne l'entends. Je lis sur ses lèvres et il me parle de moi."

"Il est le chevalier qui m'offre des fleurs et des mots émouvants, et je ressens ces paroles comme autant d'apaisements."

Ainsi Gérard de Nerval, comme une "ombre tutélaire", ne cessera-t-il pas de demeurer aux côtés de l'auteur de ces Rouges roses de l'oubli qu'un douloureux souvenir hante, - qui constitue son secret -, et qui ne lui a plus laissé que "les livres et les fleurs". Parmi ces fleurs, seulement des roses, roses communes et roses rares, roses d'éternité - Novalis - et roses quintessentielles, qui accompagnent le cheminement initiatique de l'auteur tout au long de l'ouvrage, - qui se distingue par une rare prose poétique. Ces roses deviendront, au terme de son initiation au souvenir et à la mort, toutes, roses de l'oubli, ou encore une seule rose, Rosa magnifica, "la rose rouge de l'oubli".

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 « Souvent, j'ai pensé que mourir valait mieux que la non-vie dans laquelle je me suis enfermée depuis la fuite délibérée d'un jeune homme trop aimé. J'ai envié Gérard et son courage affolé. J'ai admiré l'étrange résolution de Friedrich von Hardenberg, dit Novalis, à la mort prématurée de sa très jeune fiancée, Sophie von Kühn : dans son journal, il choisit de continuer à vivre pour décider de sa propre mort, seul moyen de rattraper la disparue, transcender la nuit. Avec une énergie d'âme peu commune, il se fortifie chaque jour dans cette résolution qui lui offre l'intuition illuminante, face à la tombe de l'aimée, que Sophie est très proche, seulement de l'autre côté de l'opacité des choses (il la rejoindra quatre ans plus tard). Dans mon cœur, toute lecture qui évoque un deuil vivifie une brûlante griffure ; cette fidélité procure une intense félicité au croyant, mais l’ode à la défunte répète un exil de chaque instant »

« Maintenant revenu de toutes ses erreurs, Gérard répète des connaissances livresques qui le détachent d'une réalité trop pénible. Dans notre marche à travers le parc triste d'un hôpital, il continue de rêver à la Rosa sancta, croisement probable entre Rosa gallica et Rosa phoenica, désignée désormais comme Rosa x richardii, dont on a retrouvé la trace au cours de fouilles, celles des tombes de Hawara, en Égypte. En Perse, les roses, sans doute importées de Chine, étaient cultivées pour leur parfum et leur beauté dans de magnifiques jardins clos, dont le nom, paradesha, a donné à l'Occident le mot paradis. Au XI° siècle, le poète, philosophe et mathématicien Omar Khayyam associa dans ses quatrains (Ruba'iyyat) les femmes, les roses et le vin. Depuis la fin du XIX° siècle, un rosier de Damas (Rosa x damascena) porte en Angleterre le nom du poète qui souhaitait sa tombe en un lieu où le vent du Nord amènerait des graines de rosiers : un botaniste en rapporta du cimetière de Nishâpur. «Jamais dans le sommeil la rose du bonheur n'a fleuri pour personne » écrivait le poète persan, dans sa sagesse. Gérard a souhaité prouver le contraire, et il a échoué. »