WACKENRODER

> Voir aussi Wackenroder, Fantaisies sur l'art : à propos de Raphaël

>  A proposito di Raffaelo (en italien)

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Théosophie

Rudolf Steiner et Novalis - Florian Roder - Novalis et Jacob Boehme - Franz von Baader

 

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Retour à Novalis

 

1773-I798

Il est vraisemblable que Novalis, par l'intermédiaire de Tieck, a subi l'influence de Wackenroder, ou plutôt qu'il a éprouvé sa singulière parenté avec lui, comme en témoignent ces quelques extraits, qu'il convient de rapporter à Henri d'Ofterdingen.

           "Ce doux jeune homme eut pourtant une influence certaine sur Tieck lui-même et sur le premier romantisme, dont il fut l'un des précieux ornements. Les Effusions du moine amateur d'art, ces musicales compositions sur la musique et sur la peinture, l'ivresse sentimentale qui fondent leur lyrisme harmonieux, indiquent bien que le sentiment commande à l'intelligence, chez lui, et que la part qui lui revient, à ce jeune mort, avec l'amour du moyen âge hautement affirmé, est la part du coeur".

Armel Guerne

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            "Le langage des mots est un immense don du ciel, et ce fut l'éternel bienfait de notre Créateur, que d'avoir libéré la langue du premier homme; en sorte qu'il pût nommer tous objets et toutes choses que le Très-Haut avait posés autour de lui dans le monde, comme aussi les images spirituelles dont son âme était le siège, exerçant ainsi son esprit dans tous les jeux divers de cet empire du nom et sa richesse. Par la parole et par les mots, notre domination s'étend à tout le royaume de la terre; par les mots et par la parole, nous prenons sans grand effort possession de tous les trésors de ce monde. Il n'y a guère que l'invisible, suspendu au-dessus de nous, qui ne descende dans notre âme à l'appel des mots.

            Toutes choses terrestres sont là, sous notre main, pour peu que nous prononcions leurs noms; mais si c'est l'absolue Bonté de Dieu que nous entendons nommer, ou la vertu des saints, quand justement nous devrions de tout notre être les saisir notre oreille seule est comme emplie de sonorités vides d'écho, et notre esprit n'est aucunement, comme il devrait l'être, hautement élevé.

           Néanmoins je connais deux langues miraculeuses, par la grâce desquelles le Créateur a donné aux humains de saisir et comprendre toutes choses du ciel dans leur pleine puissance, autant du moins (pour ne point parler avec témérité) qu'il est possible aux créatures mortelles de le faire. Mais c'est par des voies tout autres et non sous le couvert des mots, que ces langues pénètrent au plus secret de nous-mêmes: elles émeuvent d'un coup, de façon merveilleuse, notre être entier, et elles se pressent dans tous nos nerfs, dans chacune des gouttes de notre sang. L'une de ces langues miraculeuses, il n'y a que Dieu seul qui la parle; et la seconde, quelques rares élus seulement parmi les hommes, qu'il s'est choisis. Nature et art, voilà ce que je veux dire."

           "L'une de ces langues, - la nature éternellement vivante et infinie, que le Très-Haut parle toujours et sans fin d'éternité en éternité, - nous porte et nous entraîne à travers les immenses espaces aériens, tout droit vers la divinité. Mais l'autre, celle de l'art qui, par la combinaison géniale de terre colorée et de quelque humidité, reproduit dans un espace étroit et strictement mesuré, mais en s'efforçant vers une perfection tout intérieure, imite et reproduit la figure humaine (une sorte de création qu'il a été donné aux mortels d'accomplir), - l'autre langue nous découvre tous les trésors enfouis dans la poitrine de l'homme, oriente notre regard vers l'intérieur et nous montre l'Invisible; je veux dire tout ce qu'il y a de noble, de grand et de divin dans l'apparence humaine."

"Depuis ma première jeunesse, où j'apprenais à connaître le Dieu des hommes dans les vieux livres saints de notre religion, la nature a toujours été pour moi le livre clair et grand ouvert expliquant au mieux Son essence divine et Ses attributs. Le murmure du vent dans les hauteurs de la forêt, le roulement du tonnerre, m'ont rapporté sur lui des choses mystérieuses que je ne saurais exprimer en paroles. Un splendide vallon, fermé par la découpure étonnante des rocs, un miroitant cours d'eau où les arbres se penchent, ou bien la verte paix des champs tout brillants sous le bleu du ciel... oh! plus que les mots jamais ne pourront dire, ces choses ont suscité au plus profond de moi des élans merveilleux, et mon esprit en a été entièrement rempli, et tout comblé de la grandeur toute-puissante et toute-bienfaisante de Dieu; mon âme en a été toute purifiée, élevée, exaltée. Et j'ai le sentiment que la langue des mots est elle-même un instrument par trop grossier et beaucoup trop terrestre pour traiter aussi bien du monde immatériel que du matériel.

Aussi est-ce pour moi un grand motif de louer la puissance et la haute bonté du Créateur, qu'il nous ait entourés, nous humains, d'un nombre infini de choses et d'objets qui tous ont leur essence, et chacune différente, et que nous ne saisissons ni comprenons aucunement. Car nous ne savons pas ce qu'est un arbre; ce qu'est une prairie, nous ne le savons point, ni ce qu'est un rocher; nous ne pouvons parler notre langue avec eux. Il n'y a qu'entre nous que nous nous comprenons. Ce qui n'empêche que notre Créateur ait posé dans le coeur humain une telle et si merveilleuse sympathie pour ces choses, qu'elles se montrent capables de nous amener, par des voies inconnues, à des dispositions d'esprit ou à des sentiments, à des pensers ou quel que soit le nom qu'on veuille leur donner, auxquels jamais par le moyen des mots les plus précis et les plus adaptés, nous ne saurions parvenir."

"De deux langages merveilleux et de leur pouvoir mystérieux" (extraits), Les Romantiques allemands, DDB, 1963