Fernand Ouellette

  Poète et essayiste, Fernand Ouellette est né à Montréal en 1930

Depuis Novalis, Éditions du Noroît, 1999

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour à Novalis - A propos de Novalis

Brûlé par ses mythes et par son désir transfigurant; impatient, enracinant toujours sa vision personnelle dans son expérience profonde, dans sa vie intérieure, le voyant Novalis apparaît aux yeux de plusieurs comme le romantique par excellence en nous donnant Les Hymnes à la Nuit. Il est l'éveillé parce que son esprit n'est vraiment préoccupé que de la présence de Dieu. Dans les pas de Klopstock, considéré comme le premier grand poète allemand, il célèbre avec ses Disciples à Sais (1792) un amour religieux de la Nature. Imprégné d'un autre réel, il ignore les tensions, les conflits et le travail du mal. Mozart lui-même n'avait pas été aussi angélique. «À un certain niveau de conscience, affirme Novalis, il n'existe plus déjà aucun mal.» Le désespoir ne se manifeste dans son oeuvre qu'un court instant, au début de la deuxième partie de l'Ofterdingen. Ce voyage initiatique, ou cette romantisation qui est une «élévation à la puissance qualitative», prend le sens pénétrant d'une quête de l'unité et de l'amour.

Novalis remarque : «Où se fait le contact du monde du dedans et du monde extérieur, là est le siège de l'âme.» Là nous «demeurons en harmonie avec les rythmes cosmiques et fidèles à notre origine divine». Et le rêve, par nature, facilite un retour aux sources de la vie en nous. Steffens croit même que le «sommeil est le profond retour de l'âme en elle-même ». En ce sens, la mort dissout l'individualité. Elle accomplit l'aspiration à se réintégrer dans le Tout, dans la grande unité perdue. Elle est un commencement. Mais c'est à partir d'ici-bas que nous devons prendre notre envol, à partir de notre incarnation. Novalis retranscrit dans son journal la réflexion suivante de François Hemsterhuis : «Il faut secouer l'écorce matérielle; il faut la mort. Combien de développements, combien de morts il faut à l'âme pour qu’elle parvienne à la plus grande perfection dont son essence soit susceptible! Il nous suffit de savoir que c'est dès cette vie que nous prenons notre essor, que la mort ne change pas notre direction prise et qu’elle ne fait qu'accélérer les mouvements de l'âme dans cette direction qui dépend entièrement de l'énergie de l'être libre.» Est-ce que notre époque, dans sa propre dynamique, ne paraît pas sourde à une pareille ouverture spirituelle?

A propos des Hymnes à la Nuit

Les Hymnes à la Nuit sont le récit d'une conversion au monde visible du coeur, là où la Bien-Aimée, le Christ et le Paradis sont la Patrie et déjà l'âge d'or futur. Par antithèse, par transmutation, Novalis a nommé un pareil monde, celui de la Nuit. En fait, c'est un monde très près de l'univers spirituel de Plotin, un monde qui n'est autre que celui du moi le plus profond. J'ai la conviction que cette Nuit n'a aucun rapport avec la nuit d'un «Satan expulsé de l'abîme diabolique», ni avec celle des romantiques qui viendront (ils se sont mépris sur l'expérience de Novalis), et encore moins avec celle plus ambiguë des surréalistes. La Nuit de Novalis, évidemment, n'a aucun lien avec les poèmes consacrés à la nuit et aux cimetières qui ont été écrits avant les siens. Là ne réside pas sa tradition. Elle leur emprunte tout au plus quelques images de la nuit physique. La Nuit de Novalis n'a plus aucune relation avec la force obscure du chaos, ni avec le gouffre des pulsions, ni avec la «ténébreuse démence». Nous pourrions dire, paradoxalement, que rien n'est plus diurne que cette Nuit, ni plus clair ni plus transparent. Elle est la Nuit illuminante, l'espace de la communion essentielle. Elle m'apparaît comme l'image renversée (par antithèse poétique), intériorisée de la lumière spirituelle. Elle est la Lumière des «yeux invisibles ». Considérer Novalis comme un nocturne, dans le sens où le poète surréaliste est hypnotisé par le monde souterrain, le réveil de l'inconscient, me semble une erreur de lecture. Je ne comprends d'ailleurs pas comment les surréalistes ont pu se réclamer avec conviction de Novalis. Les Hymnes ne sont pas plus nocturnes que l’Ave Verum ou le Lacrymosa de Mozart.