MOUNIR HAFEZ

"IBN ‘ARABI est un des hauts lieux de l’univers spirituel musulman...."

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"Armel Guerne et Mounir Hafez, Le Poète et le Soufi"

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Extrait de Mounir Hafez, "IBN 'ARABI ET HALLAJ traduits en français", Chronique d'Islam, 1974

IBN ‘ARABI est un des hauts lieux de l’univers spirituel musulman. Son œuvre, qui est considérable, a profondément retenti dans l’Islam, et au-delà, au cours de la période arabe du monde.

 

Notons à ce propos qu’on a fait trop de bruit peut-être autour de l’influence arabe dans des domaines particuliers et sur certains auteurs - notamment celle d’Ibn ‘Arabi sur Dante, si laborieusement décelée - alors que c’est tout le moyen âge qui était largement imprégné des raffinements de la seule culture arabe (et comment ne pas évoquer dans le milieu même de Dante Brunetto Latini, et aussi Guinicelli, Cavalcanti, Dino Frescobaldi, Cino da Pistou et tant d’autres). C’est là réduire les grands problèmes à l’échelle des savants et des universitaires. Il semble bien en effet, à une certaine hauteur, et d’une façon beaucoup plus générale, que c’est le rythme islamique qui, à une période donnée, anima les vérités d’ordre spirituel dans une grande partie de l’univers. D’autres rythmes, à d’autres époques, s’emparent de ces mêmes vérités, les rendant souvent méconnaissables. Et l’histoire, non plus qu’aucune de nos sciences dites exactes, ne s’intéresse jamais à la raison subsistante de ces rythmes, mais demeure préoccupée de ce qui est continuellement soumis aux changements : le passé, alors que seul l’avenir vivant mérite et supporte à la fois notre attention puisqu’il est, et de façon continue, toujours présent.

 

L’œuvre d’Ibn ‘Arabi, et particulièrement l’ouvrage intitulé Fuçuç al Hikam, a suscité un grand nombre de commentaires (nous en connaissons environ quarante, en arabe, en persan, et en turc, consacrés à ce seul traité qu'il faut ajouter aux deux commentaires écrits par Ibn ‘Arabi lui-même, intitulés : Naqch al Fuçuç et Miftah al Fucus, dans lesquels il s’explique et où il indique sur quelle base métaphysique il se place pour son interprétation symbolique des récits du Coran) et des critiques innombrables. Outre son importance propre, au point de vue doctrinal, le vigoureux mouvement imprimé par Ibn ‘Arabi à tous les milieux attachés à la spiritualité fut l’occasion d’une mise en discussion générale de toute l’expérience mystique. Ibn ‘Arabi n’est pas seulement un penseur mystique du XIIe siècle, il est comme le creuset, déjà rougi au feu de sa vie intérieure, où vient se fondre toute la matière spirituelle musulmane antérieure à son temps (et notamment la plus précieuse, l’ismaélite, minéral privilégié à plus d’un titre, extrait de la mine ésotérique de l’Islam) et d’où resurgit, vigoureusement frappée à son sceau, une matière régénérée, unifiée pour toujours.

 

Ces très brèves considérations liminaires suffiront peut-être pour justifier notre attitude vis-à-vis de la mise en français d’un des textes fondamentaux du soufisme, et c’est donc avec reconnaissance que nous accueillerons par avance la traduction par M. Titus Burckhardt de l’une des œuvres maîtresses d’Ibn ‘Arabi, mais nous considérons aussi que rendre hommage à son initiative autrement qu’armés des plus sévères exigences serait trahir du même coup la mémoire du Sheikh al akbar et le respect que nous devons à tous ceux qui tenteront de connaître sa pensée.

 

Que la parution en français, et pour la première fois dans une langue européenne, de la Sagesse des Prophètes de Muhyi­d-din Ibn ‘Arabi dans la traduction de M. T. Burckhardt, et inauguralement pour la série « Islam » de la collection dirigée par J. Herbert et P. Masson-Oursel, aux éditions Albin Michel, nous soit ici l’occasion d'adresser - et le plus respectueusement - aux orientalistes et aux arabisants qui ont accès aux trésors de la civilisation musulmane, le reproche d’avoir si longtemps tenu à l'écart - saurons-nous un jour pourquoi ? - cet ouvrage classique en effet dans tout l’Islam, et, d’une façon générale, de subordonner trop souvent le choix de leurs textes à des goûts ou à des desseins personnels, faussant ainsi l’ensemble d’un édifice qui seul permettrait d’en comprendre et d’en apprécier les parties. Reprochons aux Orientaux eux-mêmes de négliger - et c’est dire le moins, car c’est présumer qu’ils les connussent - leurs valeurs les plus précieuses.