"En
mai 1995, un voyage a marqué une étape de ma vie. C'était au Yémen, pays abrité par
la corne de l'Afrique. J'ai écrit le chiffre 20 000 sur mon herbier. J'avais dit
m'arrêter à ce chiffre, sorte de point final. mais ma curiosité m'engage à découvrir
encore. C'est la plante du véritable encens qui porte ce chiffre. La flore yéménite est
loin d'avoir livré tous ses secrets. Les espèces y sont si variées, elles n'ont pas
été répertoriées dans cette région volcanique, étrange, presque inhumaine. 60°C de
température, cinq heures de marche pour atteindre le sommet du volcan d'Aden, le mont
Shamsan, puis un bivouac de nuit dans le vent froid, voilà qui élimine les chercheurs de
denrées rares. [...] Avec un ami ethnologue, nous avons effectués 34 stations et
récolté 850 plantes, dont l'Euphorbe, très rare, utilisé par Hippocrate, il y a 2500
ans, pour ses vertus purgatives. Certaines plantes sont peu accueillantes. Elles piquent,
émettent des signaux olfactifs plutôt nauséabonds afin de renseigner les agents
pollinisateurs. J'en ai trouvé dans le creux d'un volcan où fut pratiquée une religion
très ancienne, le zoroastrisme, dont l'un des rites consistait à déposer les morts sur
une dalle à ciel ouvert. C'était le festin des corbeaux.
Pour trouver le "Boswelia Sacra", nous avons
"enquêté" auprès de la population, une centaine d'habitants d'un village
retranché du temps, de la civilisation et peuplé de nomades, d'agriculteurs et de
pasteurs. ce fut un bonheur de rester quelques jours dans ce lieu originel. Cet arbre
disparaît, car les chèvres s'en nourrissent et l'agriculture en terrasses entre 1000 et
3000 mètres d'altitude contribue à détruire la flore."
Théodore Monod, Le chercheur d'absolu, le
cherche midi éditeur, 1997
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