Les Mémorables, tirés d'Aurélia,
sont sans doute le texte le plus étonnant de toute la littérature
française. Il s'agit d'une œuvre magique, visionnaire, composée par un
poète désespéré, mais que les rêves ont introduit dans les mystères les
plus secrets de notre Terre et de notre humanité, par un poète visité
par une grâce surnaturelle qui le laissera pourtant sombrer dans les
affres de la réalité, d'un quotidien insupportable. Ce texte dont le
titre évoque l'œuvre de Swedenborg compte assurément parmi les
meilleurs écrits gnostiques d'Orient et d'Occident.
*
"Mémorables
Sur un pic élancé de
l'Auvergne a retenti la chanson des pâtres. Pauvre Marie! reine des
cieux! c'est à toi qu'ils s'adressent pieusement. Cette mélodie rustique a
frappé l'oreille des corybantes. Ils sortent, enchantant à leur tour, des
grottes secrètes où l'amour leur fit des abris. - Hosannah! paix à la terre
et gloire aux cieux!
Sur les montagnes de l'Hymalaya
une petite fleur est née. - Ne m'oubliez pas! - Le regard chatoyant d'une
étoile s'est fixé un instant sur elle, et une réponse s'est fait entendre
dans un doux langage étranger. - Myosotis!
Une perle d'argent brillait
dans le sable; une perle d'or étincelait au ciel... Le monde était créé.
Chastes amours, divins soupirs! enflammez la sainte montagne... car vous
avez des frères dans les vallées et des sœurs timides qui se dérobent au
sein des bois!
Bosquets embaumés de Paphos,
vous ne valez pas ces retraites où l'on respire à pleins poumons l'air
vivifiant de la patrie. - "Là-haut, sur les montagnes, - le monde vit
content; - le rossignol sauvage fait son contentement!"
Oh! que ma grande amie est
belle! Elle est si grande, qu'elle pardonne au monde, et si bonne, qu'elle
m'a pardonné. L'autre nuit, elle était couchée je ne sais dans quel palais,
et je ne pouvais la rejoindre. Mon cheval alezan-brûlé se dérobait sous moi.
Les rênes brisées flottaient sur sa croupe en sueur, et il me fallut de
grands efforts pour l'empêcher de se coucher à terre.
Cette nuit, le bon Saturnin
m'est venu en aide, et ma grande amie a pris place à mes côtés, sur sa
cavale blanche caparaçonnée d'argent. Elle m'a dit : "Courage, frère! car
c'est la dernière étape."
Et ses grands yeux dévoraient
l'espace, et elle faisait voler dans l'air sa longue chevelure imprégnée des
parfums de l'Yémen.
Je reconnus les traits divins
de ***. Nous volions au triomphe, et nos ennemis étaient à nos pieds. La
huppe messagère nous guidait au plus haut des cieux, et l'arc de lumière
éclatait dans les mains divines d'Apollyon. Le cor enchanté d'Adonis
résonnait à travers les bois.
O Mort! où est ta victoire,
puisque le Messie vainqueur chevauchait entre nous deux? Sa robe était
d'hyacinthe soufrée, et ses poignets, ainsi que les chevilles de ses pieds,
étincelaient de diamants et de rubis. Quand sa houssine légère toucha la
porte de nacre de la Jérusalem nouvelle, nous fûmes tous les trois inondés
de lumière. C'est alors que je suis descendu parmi les hommes pour leur
annoncer l'heureuse nouvelle.
Je sors d'un rêve bien doux :
j'ai revu celle que j'avais aimée transfigurée et radieuse. Le ciel s'est
ouvert dans toute sa gloire, et j'y ai lu le mot pardon
signé du sang de Jésus-Christ.
Une étoile a brillé tout à
coup et m'a révélé le secret du monde et des mondes. Hosannah! paix à la
terre et gloire aux cieux!
Du sein des ténèbres muettes
deux notes ont résonné, l'une grave, l'autre aiguë, - et l'orbe éternel
s'est mis à tourner aussitôt. Sois bénie, ô première octave qui commenças
l'hymne divin! Du dimanche au dimanche enlace tous les jours dans ton réseau
magique. les monts te chantent aux vallées, les sources aux rivières, les
rivières aux fleuves, et les fleuves à l'Océan; l'air vibre, et la lumière
brise harmonieusement les fleurs naissantes. Un soupir, un frisson d'amour
sort du sein gonflé de la terre, et le chœur des astres se déroule dans
l'infini; il s'écarte et revient sur lui-même, se resserre et s'épanouit, et
sème au loin les germes des créations nouvelles.
Sur la cime d'un mont
bleuâtre une petite fleur est née. - Ne m'oubliez pas! - Le regard chatoyant
d'une étoile s'est fixé un instant sur elle, et une réponse s'est fait
entendre dans un doux langage étranger. - Myosotis!
Malheur à toi, dieu du Nord,
- qui brisas d'un coup de marteau la sainte table composée des sept métaux
les plus précieux! car tu n'as pu briser la Perle rose qui reposait
au centre. Elle a rebondi sous le fer, - et voici que nous nous sommes armés
pour elle... Hosannah!
Le macrocosme, ou
grand monde, a été construit par art cabalistique; le microcosme,
ou petit monde, est son image réfléchie dans tous les cœurs. La Perle rose a
été teinte du sang royal des Walkyries. Malheur à toi, dieu-forgeron, qui as
voulu briser un monde!
Cependant le pardon du Christ
a été aussi prononcé pour toi!
Sois donc béni toi-même, ô
Thor, le géant, - le plus puissant des fils d'Odin! Sois béni dans Héla, ta
mère, car souvent le trépas est doux, - et dans ton frère Loki, et dans ton
chien Garnur!
Le serpent qui entoure le
monde est béni lui-même, car il relâche ses anneaux, et sa gueule béante
aspire la fleur d'anxoka, la fleur soufrée, - la fleur éclatante du soleil!
Que Dieu préserve le divin Balder, le fils
d'Odin, et Freya la belle!"
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