Grüningen
17-18 mai
(...) Je
dois seulement vivre toujours plus à son intention - je ne suis que pour
elle - ni pour moi-même, ni pour personne d'autre. Elle est le sommet - l'unique. Le
suprême. Que ne puis-je être à tout moment digne d'elle! - Ma tâche capitale, mon haut
devoir devrait être de tout rapporter, de tout ramener à "son" idée seule.
19 mai
(...) Sur
la tombe assez méditatif - mais inerte la plupart du temps, insensible. Voici quelques
jours déjà que ces souvenirs me tourmentent anxieusement de nouveau. - Il y a des
moments où je me sens inexprimablement seul - avec une si affreuse détresse de ce qui
m'est arrivé.
L'idée m'est venue,
quand j'étais à la tombe, que par ma mort je fournirais l'humanité de cette fidélité
jusque dans la mort - que je lui rendrais possible en quelque sorte un pareil amour.
Tennstedt
22 mai
(...) A mesure que la douleur
sensible cède et s'atténue, le deuil spirituel grandit et l'affliction spirituelle
s'accroît en moi, une sorte de désespoir paisible s'élève toujours plus haut. Le monde
me devient toujours plus étranger. Les choses autour de moi, toujours plus
indifférentes. Et à mesure, tout se fait maintenant plus clair en moi et dans ce qui
m'entoure...
26 mai
(...) Pensé à S. avec zèle - et
surtout, il m'est devenu évident avec une grande vivacité que les plus belles
perspectives scientifiques ou autres ne doivent pas me retenir sur terre. Ma mort sera la
preuve de mon sentiment pour ce qu'il y a de plus haut, un authentique acte de sacrifice -
pas une fuite - pas un remède de détresse. Je me suis également aperçu que c'est
manifestement ma destinée - que je ne dois ici-bas rien atteindre - qu'il me faut me
séparer de tout à la fleur de l'âge. (...)
Wiederstedt
6 juin
Il ne veut plus aimer, celui qui fuit
la douleur. Celui qui aime doit éternellement sentir l'absence vide, tenir ouverte la
blessure toujours. Dieu la maintienne en moi toujours cette souffrance indiciblement
aimée! Qu'Il me garde cette mélancolie du souvenir, cette ardeur courageuse et
impatiente du revoir, la détermination virile et la foi solide comme roc. Sans
ma Sophie je ne suis rien, avec elle, tout.
9 juin
(...) J'ai aujourd'hui trouvé le
bien seul et unique : c'est l'idée de la solitude indicible qui m'entoure depuis la
mort de S. ; - avec elle le monde entier est mort pour moi. Je n'ai plus
désormais rien à faire ici.
11 juin
Je veux mourir joyeux comme un jeune
poète.
14 juin
Qui l'exclut, m'exclut aussi. Notre
"engagement" n'était pas pour ce monde-ci
Weissenfels
16-29 juin
(...) Exerce-toi incessamment à
l'activité consciente - aie perpétuellement devant les yeux la chère petite Sophie -
n'oublie pas combien c'est court, trois mois - ne prends pas trop sur toi - sois modéré
et ne t'abandonne pas à ton penchant de moquerie et d'enjouement. - Ce ne sont maintenant
plus des choses qui te conviennent justement - sinon, du moins, avec une extrême mesure.
Le Christ et SOPHIE
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