► L'islamisme ou l’Islam politique

            "Les Occidentaux doivent comprendre que dans le monde musulman, de quelque bord que l'on soit, la référence à l'Islam est incontournable"

Tarek Ramadan

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SOMMAIRE

Tarek Ramadan : Les tranchées du conflits

A propos de Tarek Ramadan: De l'Islam en Europe à l'Islam européen

 

 

 

 

 

« Tous, presque, gardent une pudeur dernière : presque aucun ne renie ouvertement, à la face du monde, l’Islam, et certes il s’en trouverait bien peu qui, un jour où un danger matériel visible à première vue menacerait l’Islam, et où il se trouverait un homme d’un génie assez prodigieux pour les unir et les faire marcher, se croiseraient les bras et abandonneraient froidement cet étendard vert du Prophète, relique chère et sacrée, pour laquelle, comme les Chrétiens pour leur croix, les vrais Croyants arrosèrent de leur sang martyr tant et tant de continents... »

Isabelle Eberhardt

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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A propos de l’islamisme ou de l’intégrisme, Tarek Ramadan observe qu’en ce début de vingt et unième siècle, « tout se passe comme si le monde musulman était atteint d’un mal nouveau, un et unique, nommé « l’intégrisme », le « fanatisme » ou « l’islamisme » qu’il faut extirper à tout prix et contre lequel toutes les forces progressistes, d’Orient et d’Occident, doivent s’armer. » Et il ajoute : « Il n’y a pas de nuance à établir, pas de débat à espérer, point de conciliation à attendre ». Et pourtant les nuances, comme les débats, sont indispensables, non seulement pour comprendre l’Islam politique au présent, mais aussi pour anticiper, en Europe aussi bien qu’à l’échelle de la planète, des événements à venir dont les plus radicaux parmi les tenants de l’Islam politique, ou de la violence politique en Islam, seront les protagonistes, comme ils l’ont été le 11 septembre 2001.

             Au risque de schématiser, mais c’est pour introduire les nuances nécessaires quand on parle d’islamisme ou de post-islamisme, il convient de rappeler que le monde musulman contemporain est traversé par trois principales tendances qui sont le réformisme, le fondamentalisme et l’occidentalisme, chacune de ces tendances développant des courants radicaux qu’il faut également distinguer les uns des autres. Naturellement, seules les deux premières tendances, à savoir le fondamentalisme ou, mieux dit, le traditionalisme, et le réformisme appartiennent à l’islamisme ou « islam politique ». Car la tendance « occidentaliste » s’en écarte justement, et de manière plus ou moins radicale, aussi, et au point parfois que certains musulmans occidentalisés semblent n’être plus musulmans que de nom. Est-ce que cela signifie qu’ils se sont retranchés définitivement de la communauté musulmane ? Sans doute, non. Il reste que la critique des réformistes à l’égard de ceux qu’on appelaient dans la première moitié du 20ème siècle les « francisants » n’est pas nouvelle : « Ces « francisants », écrivait ainsi Rachid Rida (1865-1935), qui entendent imiter les Européens, croient que la religion est inconciliable avec la politique, la science et la civilisation contemporaine, et que tout État, qui se lie à la religion d’une façon effective, ne saurait être respecté, puissant et devenir l’égal des grands États. (…) La plupart pensent que l’État doit être laïque » (cité par Tareq Ramadan). En France, ces penseurs « occidentalisés » militent pour une « laïcisation de l’islam » qu’ils confondent volontiers, intentionnellement ou non, avec « l’analyse de l’islam dans la laïcité » ! On voit qu’en ce qui concerne les relations entre l’islam et la laïcité les nuances ne sont pas moins importantes.

            Islam politique, donc : de quoi s’agit-il : « de ceux qui cherchent à prendre le pouvoir et n’hésitent pas à recourir à la violence ? Ou des mouvements plus que centenaires qui affirment que la réalité de l’islam est incontournable et qu’il faut compter avec sa prégnance dans l’organisation des sociétés majoritairement musulmanes. (…) Est-il question des traditionalistes saoudiens ou du clergé conservateur iranien ? » De fait, il convient de distinguer entre le fondamentalisme et le réformisme, puisque c’est à cela que fait allusion l’auteur précédemment cité.

            Mais le fondamentalisme est à distinguer aussi des éléments conservateurs que l’on rencontre dans presque tous les pays arabo-musulmans. Ce qu’on appelle fondamentalisme est très exactement le traditionalisme issu de la pensée et de l’action d’Ibn Abd al-Wahhab, - dans la lignée d’Ibn Taymiya (mort en 1328), - où il est question de « ramener l’Islam à sa pureté première ». Un pays comme l’Arabie Saoudite est fondamentaliste.

            Des éléments conservateurs, la critique a été faite également par Rachid Rida qui écrivait : « Ces ‘ulamâ sont incapables de tirer, de leur droit étroitement traditionnel, un système de lois militaires, financières et politiques. Ils refusent d’accepter l’ijtihâd absolu dans toutes les relations temporelles. (…) C’est avant tout parce que les ‘ulamâ n’ont pas su renouveler leur apologétique que beaucoup de musulmans se sont détachés de leur foi » (cité par Tareq Ramadan).

            Entre le fondamentalisme et l’occidentalisme, et en réaction contre le conservatisme des ’ulama, les réformistes, eux, représentent une  « troisième voie », inaugurée il y a plus d’un siècle par Al-Afghani et Mohammed Abdou, continuée par un Rachid Rida et surtout par l’Égyptien Hassan al-Banna, mort, assassiné, en 1949, fondateur en 1928 du mouvement des Frères musulmans.

            Ce qui caractérise le réformisme, qu’il faut donc identifier avec le mouvement des Frères musulmans, c’est qu’il est « moderniste », contrairement au wahhabisme qui est, lui, conservateur, et si les deux tendances présentent des similitudes, elles ne sont que d’apparence : « De prime abord, ils [les réformistes] peuvent donner l’impression d’exprimer une posture fondamentaliste : il leur paraît certes impossible de faire l’économie des prescriptions coraniques et prophétiques », toutefois cette « exigence » traduit une « autre exigence de l’intelligence du contexte et de l’époque ». C’est ainsi que fondamentalement pour Hassan al-Banna, il s’agit de « s’affirmer pour Dieu et non pas contre l’Occident ». Cette position, typique chez les Frères musulmans, est toujours celle d’un Tarek Ramadan, petit-fils d’Hassan al-Banna.

            L’islamisme radical

            Les fondamentalistes ont leurs groupes radicaux et leurs réseaux dont le plus célèbre et sans doute le mieux organisé est le réseau al-Qaida sur lequel il n’est pas besoin de s’étendre, la presse en ayant abondamment parlé, même si l’insistance a été mise sur l’Afghanistan et le régime des Talibans, au risque de détourner l’attention du véritable foyer mondial du fondamentalisme, y compris sous sa forme radicale, qui reste l’Arabie Saoudite. Mais il n’échappe à personne que des considérations d’ordre économique ont guidé l’action anti-terroriste des États-unis.

            Les réformistes ont eux aussi leurs mouvements radicaux ou plutôt, au sein des réformistes, des courants se sont formés qui se sont progressivement détachés de la pensée d’Hassan al-Banna. Cette tendance s’exprime chez Seyyed Qotb, par exemple, qui affirme : « La société musulmane est celle où est appliqué l’islam par la foi, l’adoration, la législation, l’organisation sociale, la conception de la Création, la façon de se comporter. (…) Une société dont la législation ne repose pas sur la loi divine n’est pas musulmane quelque musulmans que s’en proclament les membres ». De sorte que rapidement, l’action en profondeur et pacifique préconisée par Hassan al-Banna fut relayée dans certains groupes par la violence politique, comme Al jama’at al-islamiyya, responsable de l’attentat perpétré en 1981 contre le président Sadate : « Vouloir commencer par guerroyer contre l’impérialisme, c’est une action inutile et futile, une pure perte de temps. Il nous faut nous concentrer sur notre problème musulman, à savoir l’instauration de la shar’ia de Dieu dans notre propre pays avant tout, et tout y subordonner à la cause de Dieu. »

            Si on a pu parler de l’échec de l’islamisme, c’est sans doute parce qu’on avait en tête l’action politique de ces groupuscules, mais c’est feindre d’ignorer, d’une part, que l’islamisme ne se réduit ni à une tendance radicale issue des réformistes qui se limite à la prise du pouvoir dans les  pays musulmans, ni à la violence politique des fondamentalistes qui est d’ailleurs autrement plus dangereuse, car dirigée contre l’Occident et les États-unis, et c’est, d’autre part, refuser de voir que l’islamisme n’est pas seulement son expression violente, mais qu’il existe sous une forme mesurée, intelligente et qui n’est pas dirigée contre l’Occident. Ou du moins pas encore, car il dépend de l’Occident, de sa reconnaissance ou non de l’islam en tant que civilisation mondiale, que le réformisme à son tour se tourne ou non contre lui.

            L’islamisme se présente donc comme un monde complexe qui exige naturellement qu’on se réfère aux textes fondateurs de ses théoriciens, et surtout qu’on fasse l’effort de se décentrer, de les comprendre de l’intérieur, dans leur référence fondamentale qui est spirituelle, qui est celle « de la foi proprement dite, de la volonté d’affirmer sa conviction devant Dieu, sa conscience et les hommes ». Ce qui est sans doute le plus problématique pour un Occidental, spécialement en France.