AU
DELA DES CIEUX
Nietzsche,
d'après un crayon de David Olde
La
demeure du philosophe allemand Nietzsche
Partout,
l'Être est en lutte avec le non-Être, et nul ne connaît
le secret de cette voûte tournante. Partout la mort
porte le message de la vie. Oh! Heureux l'homme qui sait
ce que c'est que la mort. Partout la vie est à bon
marché comme le vent, elle est instable, mais est en
quête de stabilité! Mes yeux ont vu cent mondes
éphémères, jusqu'à ce que mon regard parvienne aux
confins de la création. Dans chaque monde, j'ai vu une
autre lune et d'autres Pléiades, d'autres coutumes,
d'autres formes de vie! Le temps, dans chacun de ces
mondes, s'écoulait comme un flot, ici lent, là plus
rapide : en un lieu notre année équivalait à un mois,
dans un autre, à un instant; ce qui était beaucoup en un
monde était peu dans un autre. Notre esprit, dans un
monde, était plein de talents, dans un autre monde,
humble et méprisé !
Aux confins
de ce monde contingent, se trouvait un homme à la voix
pleine de passion : son regard était plus perçant que
celui de l'aigle, son visage trahissait la passion qui
embrasait son coeur. A chaque instant augmentait la
fièvre dans son sein, et il avait sur les lèvres un vers
qu'il répétait sans cesse : « Ni Gabriel, ni paradis, ni
houri, ni Dieu, seulement une poignée de terre brûlée du
désir du coeur! »
Je dis à Rûmî
: « Qui est ce fou? » Il répondit : « C'est un sage
allemand. Il se tient entre deux mondes; le chant de sa
flûte est un chant antique. Cet Hallâj sans corde et
sans gibet redisait de nouveau et différemment des
paroles anciennes. Ses paroles étaient audacieuses et
ses pensées élevées; les Occidentaux furent coupés en
deux par le glaive de ses discours! Il ne trouva aucun
compagnon dans ses extases : il était ivre de Dieu, on
le prit pour un fou! Les intellectuels ne connaissent
rien à l'amour et à l'ivresse ils le remirent aux mains
des médecins. Chez ces derniers, il n'y a que fraude et
qu'hypocrisie : malheur à l'homme ivre de Dieu qui naît
en Europe! Avicenne ne tient compte que des traitements
donnés dans les livres : on te perce une veine ou bien
l'on te donne une pilule somnifère.
Nietzsche fut
un Hallâj étranger à sa propre patrie; il échappa aux
mollahs, mais les médecins le tuèrent!
Il n'y avait
pas en Europe d'homme connaissant la Voie mystique; or,
sa mélodie était trop puissante pour les cordes de son
luth. Personne n'indiqua le chemin à ce voyageur, et
cent accidents lui arrivèrent en cours de route. Il
était une monnaie, et personne n'en fit l'essai; il
était un théoricien de l'action, et personne n'en fit un
homme d'action. Un amant qui se perd dans ses propres
soupirs, un voyageur qui s'égare sur son propre chemin!
Son ivresse brisa tous les flacons, il s'arracha de Dieu
et à la fin de lui-même. Il voulait percevoir avec son
oeil extérieur l'union de la Beauté et de la Puissance.
Il voulait que jaillit de l'eau et de la terre ce fruit
qui ne peut être produit que par le coeur seul. Ce qu'il
cherchait, c'est le Degré de la Majesté divine, et ce
niveau est au delà de la raison et de la sagesse. La vie
est le commentaire des mystères du « Soi », Lâ et
Illâ sont des étapes du Soi. Il s'arrêta au Lâ
et ne parvint pas au Illâ, il disparut sans avoir
compris le sens de « Serviteur de Dieu ». Embrassant les
manifestations de Dieu, et pourtant en étant ignorant,
comme le fruit est loin de la racine de l'arbre. Son
oeil ne voulait voir que l'homme, et son cri audacieux
était : « Où est l'Homme? » Sinon, il aurait éprouvé de
la répugnance pour les êtres terrestres, et comme Moïse,
il aurait aspiré à la Vision de Dieu ! Oh! S’il avait pu
vivre au temps de Ahmad, afin de parvenir à la
Joie éternelle! Sa raison était en discussion constante
avec son Moi. Toi, suis ta propre route, car cette route
est la meilleure. Avance maintenant, car voici un lieu
où naissent les discours sans paroles.
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