« Le but réel de l’initiation, ce n’est
pas seulement la restauration de « l’état édénique »,
qui n’est qu’une étape sur la route qui doit mener bien plus haut,
puisque c’est au delà de cette étape que commence vraiment le
« voyage céleste » ; ce but, c’est la conquête
active des états « supra-humains » (…). Pour exprimer les
choses autrement, nous dirons que l’état humain doit d’abord être
amené à la plénitude son expansion, par la réalisation de ses
possibilités propres (et cette plénitude est ce qu’il faut entendre
ici par « l’état édénique ») ; mais, loin d’être
le terme, ce ne sera encore là que la base sur laquelle l’être
s’appuiera pour « salire alle stelle »,
c’est-à-dire pour s’élever aux états supérieurs (…). Il y a
donc deux périodes à distinguer dans l’ascension, mais la première,
à vrai dire, n’est une ascension que par rapport à l’humanité
ordinaire : la
hauteur d’une montagne, quelle qu’elle soit, est toujours nulle en
comparaison de la distance qui sépare la Terre des Cieux
; en réalité, c’est donc plutôt une extension,
puisque c’est le complet épanouissement de l’état humain. Le déploiement
des possibilités de l’être total s’effectue ainsi d’abord dans
le sens de « l’ampleur » et ensuite dans celui de « l’exaltation »,
pour nous servir ici de termes empruntés à l’ésotérisme islamique ;
et nous ajouterons encore que la distinction des deux périodes
correspond à la division antique des « petits mystères »
et des « grands mystères »
(L’ésotérisme de Dante, Gallimard, 1957, pp.
48-49). *
Note sur l'initiation
Dans ses Aperçus sur l’ésotérisme
chrétien, René Guénon évoque l’existence en Occident de « doctrines purement
métaphysiques et que nous pouvons dire complètes, y compris cette
réalisation qui, pour la plupart des modernes, est sans doute une chose
à peine concevable ». Ces doctrines étaient enseignées par des ordres
ésotériques chrétiens. René Guénon
mentionne nommément, dans la filiation de l’Ordre du Temple, les Fidèles d’Amour, la
Chevalerie du Saint-Graal. « C’est leur propre initiation,
dira-t-il également,
qui les rendit aptes à entrer en relation sur ce terrain avec les
Orientaux ».
Mais ces organisations ont disparu dès la fin du moyen âge, et il semble irréaliste dès lors de
penser qu’il existe encore des possibilités d’initiation en Occident, au
sens où l’entend René Guénon. Toutefois, nous ferons remarquer ceci :
Il existe en Occident des maître
« invisibles », en ce sens qu’ils ont quitté la manifestation terrestre,
mais qui, parce qu’ils ont appartenu effectivement à ces organisations, sont
qualifiés pour conférer l’initiation.
Il y a, surtout, une certaine
rencontre
de l’Orient
et de l’Occident, vécue dans le secret du cœur, qui autorise
l’initié à entrer en relation avec son Maître intérieur et, par
conséquent, à progresser vers les états supérieurs de l’être, pour
reprendre la terminologie de René Guénon.
Orient et Occident
On
ne peut plus, comme René Guénon autrefois, jouer
l’Orient contre l’Occident, car l’Orient lui-même
est entré en « décadence » à la manière occidentale.
Finalement on se trouve dans un univers pratiquement
dévasté, du fait de cette « décadence » de l’Orient et
de la « décomposition » toujours plus importante de
l’Occident.
Peut-on considérer
cependant que désormais la voie qui est réservée à
l’Occident serait une voie d’Orient et d’Occident ?
L’Occident traçant une voie qui emprunte simultanément à
l’Orient et à l’Occident, aux maîtres visibles d’Orient
et aux maîtres invisibles d’Occident,
invisibles, parce qu’ils ont quitté la manifestation
terrestre. Une voie qui ferait se rencontrer, sur le
plan de l’ésotérisme, les différentes voies ésotériques
que sont la Kabbale, l’ésotérisme chrétien, et
l’ésotérisme islamique. Non plus entre l’Orient
et l’Occident, mais bien d’Orient et d’Occident.
Ce qui serait une autre thèse. Est-elle défendable ? Il
s’agit de revivifier une tradition occidentale qui s’est
seulement « occultée » et qu’il est possible de faire
revivre sous sa forme originale en la confrontant à sa
forme orientale. Pas de tenter de réorganiser des ordres
qui n’ont plus accès à la Tradition - René Guénon a montré
que cela n’était plus possible - ni, enfin, mais c’est
une évidence, de faire renaître de leurs cendres des
ordres disparus dès lors qu’il n’existe plus aucune
garantie « traditionnelle ». Il ne s’agirait plus de
quitter l’Occident pour l’Orient, à la manière d’un
Guénon ni de demeurer entre Orient et Occident,
comme Frithjof Schuon, mais d’être d’Orient et
d’Occident. Naturellement, ce serait d’une tradition
occidentale qui a son équivalent en Orient.
Sur qui et quoi s’appuyer? Sinon sur le dépôt de la
Tradition conservé intact en Orient, mais non plus en
tant qu’Occidental, ou qu’un Oriental, mais en se tenant
au terrain de contact « ésotérique » entre l’Orient et
l’Occident, quand il existe. |