Hermann Hesse

Néo-romantisme 

Supplément à une lettre à Eugène Diederichs, 1900, cf. Lettres (1900-1962), Calmann-Lévy, 1981

 

Retour à Hermann Hesse

"Le petit nombre de poètes dont les œuvres commencent depuis peu à se faire connaître sous le nom de «néoromantiques» présente un rapport étroit et fréquemment voulu avec le romantisme allemand de la première heure dont il est souvent fait mention aujourd'hui, à propos des fêtes de son centenaire. C'est le romantisme de Frédéric Schlegel et du jeune Tieck, mais surtout celui de Novalis qui accède ainsi à une renaissance étrange et significative. Les néoromantiques apprécient et chérissent avant tout ce parfum, pénétré de douceur et d'intuitions, qui répand sa nostalgie et son merveilleux pouvoir de sympathie sur l'œuvre inachevée de Novalis - le parfum de la fleur bleue.

          Il semble que le germe mystérieusement vivant de ce romantisme d'autrefois, développé de façon souvent peu artistique, exploité et déshonoré par la littérature des premières décennies de notre siècle, produise aujourd'hui de nouvelles pousses après un silence absolu de cinquante années. Ce que nous avons vu en résulter jusqu'ici égale à peu près les modèles par la valeur poétique et les dépasse peut-être par la vitalité et la sérénité intérieure. On dirait que la précipitation combative, l'activité nerveuse incessante déployée en tous sens et jusqu'à l'épuisement par ces précoces génies romantiques veuille maintenant porter des fruits sur leurs tombes presque oubliées. Tous ces écrivains-là, sans exception, s'exténuèrent à soutenir ce combat mouvementé et ce sont eux qui donnèrent sa coloration particulière à la vie intellectuelle des années 1800 ; l'atmosphère de fermentation, de vie fiévreuse et rapidement consumée de cette brève époque fut leur élément et le principe de leur perte. Le destin de cette communauté de jeunes poètes-philosophes nous saisit comme une tragédie d'une intensité extrême; ils finissent tous tragiquement, dévorés par l'ardeur de leur flamme intérieure. Si l'on considère la brève histoire de la première école romantique, on se sent fasciné par cette vie débordante de génie, par son éblouissante floraison et par son triste et rapide flétrissement. Que Novalis, le seul, dans cette communauté, qui fût intérieurement solide et qui dominât son époque, que Novalis soit mort jeune, c'est vraiment la tragédie de la première école romantique. Avec la mort de Novalis, le plus grand espoir de cette école fut anéanti ; après lui, les autres espérances s'éteignirent rapidement et sans gloire.

          C'est précisément à Novalis que se rattache la poésie néoromantique. Elle a reconnu la valeur de celui qu'elle avait si longtemps méconnu, elle l'a redécouvert et trouvé en lui un chef vénéré qui échappe à toutes les contestations, à toutes les querelles artistiques du monde moderne. Si le nouveau romantisme a aussi adopté la fleur bleue pour symbole, il a cependant mieux compris le sens de ce symbole que ne l'avaient fait les contemporains de Novalis.

          La fleur bleue, objet de toute nostalgie poétique, est invisible et s'épanouit au cœur de toute âme profonde et ardente; elle est elle-même tout à la fois désir et plénitude. Conserver son merveilleux parfum et le faire partager aux autres, voilà la fonction de la poésie romantique. C'est pourquoi cette poésie a toujours été le contraire du classicisme, elle revêt des formes délicates, se cherche des voies silencieuses, car le chemin qui conduit de la première vision jusqu'au poème est long et périlleux. Respect devant la voix de l'éternité, attention profonde au rythme de la vie intérieure, sentiment de communion avec les sources cachées de l'âme : telle est, en son essence, la profession de foi romantique.

          Interrompue par la mort de Novalis, l'histoire du véritable romantisme va recommencer. L'expression fleur bleue, devenue motif de raillerie à la faveur d'un malentendu populaire, a purifié une nouvelle génération de jeunes qui remettra en honneur cette émanation d'un rêve né dans l'âme enthousiaste de leurs malheureux prédécesseurs."