"Le petit nombre de poètes
dont les œuvres commencent depuis peu à se faire connaître sous le nom de
«néoromantiques» présente un rapport étroit et fréquemment voulu avec le
romantisme allemand de la première heure dont il est souvent fait mention
aujourd'hui, à propos des fêtes de son centenaire. C'est le romantisme de
Frédéric Schlegel et du jeune Tieck, mais surtout celui de Novalis qui
accède ainsi à une renaissance étrange et significative. Les
néoromantiques apprécient et chérissent avant tout ce parfum, pénétré de
douceur et d'intuitions, qui répand sa nostalgie et son merveilleux
pouvoir de sympathie sur l'œuvre inachevée de Novalis - le parfum de la
fleur bleue.
Il semble que le germe
mystérieusement vivant de ce romantisme d'autrefois, développé de façon
souvent peu artistique, exploité et déshonoré par la littérature des
premières décennies de notre siècle, produise aujourd'hui de nouvelles
pousses après un silence absolu de cinquante années. Ce que nous avons vu
en résulter jusqu'ici égale à peu près les modèles par la valeur poétique
et les dépasse peut-être par la vitalité et la sérénité intérieure. On
dirait que la précipitation combative, l'activité nerveuse incessante
déployée en tous sens et jusqu'à l'épuisement par ces précoces génies
romantiques veuille maintenant porter des fruits sur leurs tombes presque
oubliées. Tous ces écrivains-là, sans exception, s'exténuèrent à soutenir
ce combat mouvementé et ce sont eux qui donnèrent sa coloration
particulière à la vie intellectuelle des années 1800 ; l'atmosphère de
fermentation, de vie fiévreuse et rapidement consumée de cette brève
époque fut leur élément et le principe de leur perte. Le destin de cette
communauté de jeunes poètes-philosophes nous saisit comme une tragédie
d'une intensité extrême; ils finissent tous tragiquement, dévorés par
l'ardeur de leur flamme intérieure. Si l'on considère la brève histoire de
la première école romantique, on se sent fasciné par cette vie débordante
de génie, par son éblouissante floraison et par son triste et rapide
flétrissement. Que Novalis, le seul, dans cette communauté, qui fût
intérieurement solide et qui dominât son époque, que Novalis soit mort
jeune, c'est vraiment la tragédie de la première école romantique. Avec la
mort de Novalis, le plus grand espoir de cette école fut anéanti ; après
lui, les autres espérances s'éteignirent rapidement et sans gloire.
C'est précisément à Novalis que
se rattache la poésie néoromantique. Elle a reconnu la valeur de celui
qu'elle avait si longtemps méconnu, elle l'a redécouvert et trouvé en lui
un chef vénéré qui échappe à toutes les contestations, à toutes les
querelles artistiques du monde moderne. Si le nouveau romantisme a aussi
adopté la fleur bleue pour symbole, il a cependant mieux compris le sens
de ce symbole que ne l'avaient fait les contemporains de Novalis.
La fleur bleue, objet de toute
nostalgie poétique, est invisible et s'épanouit au cœur de toute âme
profonde et ardente; elle est elle-même tout à la fois désir et plénitude.
Conserver son merveilleux parfum et le faire partager aux autres, voilà la
fonction de la poésie romantique. C'est pourquoi cette poésie a toujours
été le contraire du classicisme, elle revêt des formes délicates, se
cherche des voies silencieuses, car le chemin qui conduit de la première
vision jusqu'au poème est long et périlleux. Respect devant la voix de
l'éternité, attention profonde au rythme de la vie intérieure, sentiment
de communion avec les sources cachées de l'âme : telle est, en son
essence, la profession de foi romantique.
Interrompue par la mort de
Novalis, l'histoire du véritable romantisme va recommencer. L'expression
fleur bleue, devenue motif de raillerie à la faveur d'un malentendu
populaire, a purifié une nouvelle génération de jeunes qui remettra en
honneur cette émanation d'un rêve né dans l'âme enthousiaste de leurs
malheureux prédécesseurs."
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