HERMANN HESSE

(1877-1962)

Regards sur l'oeuvre de Novalis

SOMMAIRE

Thomas Bernhard - Gustave Roud : traduction des Hymnes à la Nuit - "Bettina et Novalis" par Georgette Camille - "Novalis? Le chantre de la lumière cachée", par Charles Le Brun - Corinne Bayle : Rouges Roses de l'oubli, par Corinne Bayle - voir aussi Corinne Bayle, Note, juin 2004

 

 

 

 

 

Retour à Novalis - Novalis et le néo-romantisme - Tous les auteurs - Documents : Documents littéraires

Hermann Hesse

Hermann Hesse comptait Novalis parmi les pèlerins de l'Orient. Il évoquera "les runes des rêves magiques" de Novalis, dans Le Jeu des Perles de Verre, et c'est une lecture originale qu'il donne du poète dans sa nouvelle Der Novalis (1900), traduite en français sous le titre Histoire de mon Novalis, à travers le personnage de Théophile Brachvogel. La même année, il rédige une note sur Novalis et le Néo-romantisme, qui sera reprise dans sa correspondance, en 1973.

 

 

A propos des pèlerins d'Orient

           "Les formes qu'ont prises actuellement notre culte de la pensée et le Jeu des Perles de Verre leur doivent beaucoup à cet égard, ils les orientèrent en particulier vers la voie de la contemplation. Les pèlerins d'Orient apportèrent également leur contributions à nos nouvelles conceptions de la culture et de ses possibilités de survie, moins par leur oeuvre dans le domaine des sciences analytiques que par la faculté, qu'ils devaient à d'antiques pratiques secrètes, de se transporter par magie dans des époques et des civilisations reculées."

Le Jeu des perles de verre

          "Depuis quelques jours, il était subjugué par la force pleine de douceur que dégage le plus profond et le plus suave d'entre les romantiques, celui dont la langue aux tonalité sombres, saturées d'essences et d'intuitions subtiles, l'avait soumis de son plein gré à ses rythmes mélodieux. C'était une harmonie mystique, semblable au bruissement lointain d'un grand fleuve au plus profond de la nuit, dominé par une voûte où fuyaient les nuages dans la lumière bleuissante des étoiles, une harmonie pénétrée d'allusions à tous les mystères de la vie et à toutes les tendresses secrètes de la pensée"

           "Il lut le premier Hymne à la Nuit. Sa voix bien timbrée épousait avec simplicité et noblesse le caractère grave et pathétique du poème. Pour tout poète, le moment de son triomphe le plus pur est celui où une jeune âme enthousiaste fait connaître son oeuvre à un ami."

          "Tout en marchant, il se souvenait avec plaisir des récits de voyage dans Henri d'Ofterdingen, qu'il avait déjà lu deux fois. Il pensa aux vers tendres et spirituels de la dédicace, à leur grâce énigmatique et légère, et il se sentit pénétré par les résonances harmonieuses de cette musique intérieure. Peut-être ne savait-il pas à quel point il ressemblait lui-même au jeune Ofterdingen de ce poème. Ce qui lui manquait encore en qualités viriles donnait précisément à sa manière d'être cette fraîcheur désarmantes et si enviable. Un parfum de jeunesse émanait de cet être dont l'ingénuité n'avait pas encore été altéré par ces grandes douleurs qui donnent la consécration de la maturité"

La Leçon interrompue, Calmann-Lévy, 1978

           "On ne considérait plus, comme jusqu'alors, les témoignages laissés par les anciennes religions sous un angle avant tout historique, sociologique ou philosophique, mais on cherchait à évaluer leurs forces vitales immédiates, l'action psychologique et magique de leurs structures, de leurs images, de leurs pratiques. Toutefois, chez les aînés et chez les enseignants prédominaient encore la curiosité quelque peu blasée qui caractérise l'esprit purement scientifique, une certaine joie de collectionner, de comparer, d'expliquer, de classer et d'en savoir plus que les autres; les plus jeunes et les écoliers, en revanche, se livraient à ces études dans un nouvel esprit, c'est-à-dire qu'ils étaient pleins de respect et même d'envie à l'égard des manifestations de la vie religieuse, pleins d'appétit pour le contenu de ces cultes et de ces formules que l'histoire nous a transmis; à la fois las de vivre et prêts à croire, ils étaient animés d'un ardent et secret désir d'atteindre le coeur de toutes ces manifestations, d'arriver à une foi et à une force d'âme qui leur permettraient peut-être de vivre comme leurs lointains ancêtres, en obéissant à de fortes et hautes impulsions et avec cette fraîcheur, cette intensité depuis lors disparues, mais qui rayonnent encore dans les cérémonies religieuses et dans les oeuvres d'art du temps passé.

            Un exemple célèbre est celui de ce jeune privat-docent de Marburg qui s'était proposé de retracer la vie et la mort du pieux écrivain Novalis. On sait que Novalis, après la mort de sa fiancée, avait pris la résolution de ne pas lui survivre et que, pour cela, en véritable croyant et poète, il n'avait pas utilisé de moyens matériels tels que le poison ou l'arme à feu, mais s'était lentement acheminé vers la mort par des procédés purement psychiques et magiques, de sorte qu'il mourut très jeune. Le privat-docent tomba sous le charme de ce mode étrange de vivre et de mourir et fut saisi par le désir d'en faire autant que le poète et de mourir comme lui, sans recourir à d'autres moyens que l'imitation morale et une même orientation de son esprit. Ce qui l'avait poussé à cela, ce n'était pas à proprement parler le dégoût de la vie mais plutôt la nostalgie du miracle, c'est-à-dire de l'influence et de la domination des forces de l'âme sur la vie corporelle. Effectivement, ce privat-docent vécut et mourut à l'exemple du poète, avant d'avoir atteint sa trentième année. Ce cas avait fait sensation à l'époque et avait été condamné de la façon la plus sévère aussi bien par l'ensemble des cercles conservateurs que par cette partie des jeunes qui trouvaient dans le sport et les plaisirs de la vie matérielle de quoi satisfaire à leurs exigences.  En voilà assez sur ce sujet. Nous n'avons pas l'intention d'analyser ici cette époque, nous voulons seulement indiquer l'état d'âme et le climat moral des cercles auxquels appartenait le candidat Edmond."

Edmund, 1934