A
propos des pèlerins d'Orient
"Les formes qu'ont prises actuellement notre
culte de la pensée et le Jeu des Perles de Verre leur doivent beaucoup à
cet égard, ils les orientèrent en particulier vers la voie de la
contemplation. Les pèlerins d'Orient apportèrent également leur
contributions à nos nouvelles conceptions de la culture et de ses
possibilités de survie, moins par leur oeuvre dans le domaine des sciences
analytiques que par la faculté, qu'ils devaient à d'antiques pratiques
secrètes, de se transporter par magie dans des époques et des
civilisations reculées."
Le Jeu des perles de
verre
"Depuis quelques
jours, il était subjugué par la force pleine de douceur que dégage le
plus profond et le plus suave d'entre les romantiques, celui dont la
langue aux tonalité sombres, saturées d'essences et d'intuitions
subtiles, l'avait soumis de son plein gré à ses rythmes mélodieux.
C'était une harmonie mystique, semblable au bruissement lointain d'un
grand fleuve au plus profond de la nuit, dominé par une voûte où
fuyaient les nuages dans la lumière bleuissante des étoiles, une
harmonie pénétrée d'allusions à tous les mystères de la vie et à
toutes les tendresses secrètes de la pensée"
"Il lut le premier Hymne
à la Nuit. Sa voix bien timbrée épousait avec simplicité et
noblesse le caractère grave et pathétique du poème. Pour tout poète,
le moment de son triomphe le plus pur est celui où une jeune âme
enthousiaste fait connaître son oeuvre à un ami."
"Tout en marchant, il
se souvenait avec plaisir des récits de voyage dans Henri
d'Ofterdingen, qu'il avait déjà lu deux fois. Il pensa aux vers
tendres et spirituels de la
dédicace, à leur grâce énigmatique et
légère, et il se sentit pénétré par les résonances harmonieuses de
cette musique intérieure. Peut-être ne savait-il pas à quel point il
ressemblait lui-même au jeune Ofterdingen de ce poème. Ce qui lui
manquait encore en qualités viriles donnait précisément à sa
manière d'être cette fraîcheur désarmantes et si enviable. Un parfum
de jeunesse émanait de cet être dont l'ingénuité n'avait pas encore
été altéré par ces grandes douleurs qui donnent la consécration de
la maturité" La Leçon
interrompue, Calmann-Lévy, 1978
"On ne considérait plus, comme jusqu'alors, les
témoignages laissés par les anciennes religions sous un angle avant tout
historique, sociologique ou philosophique, mais on cherchait à évaluer
leurs forces vitales immédiates, l'action psychologique et magique de
leurs structures, de leurs images, de leurs pratiques. Toutefois, chez les
aînés et chez les enseignants prédominaient encore la curiosité quelque
peu blasée qui caractérise l'esprit purement scientifique, une certaine
joie de collectionner, de comparer, d'expliquer, de classer et d'en savoir
plus que les autres; les plus jeunes et les écoliers, en revanche, se
livraient à ces études dans un nouvel esprit, c'est-à-dire qu'ils étaient
pleins de respect et même d'envie à l'égard des manifestations de la vie
religieuse, pleins d'appétit pour le contenu de ces cultes et de ces
formules que l'histoire nous a transmis; à la fois las de vivre et prêts à
croire, ils étaient animés d'un ardent et secret désir d'atteindre le
coeur de toutes ces manifestations, d'arriver à une foi et à une force
d'âme qui leur permettraient peut-être de vivre comme leurs lointains
ancêtres, en obéissant à de fortes et hautes impulsions et avec cette
fraîcheur, cette intensité depuis lors disparues, mais qui rayonnent
encore dans les cérémonies religieuses et dans les oeuvres d'art du temps
passé.
Un exemple
célèbre est celui de ce jeune privat-docent de Marburg qui s'était proposé
de retracer la vie et la mort du pieux écrivain Novalis. On sait que
Novalis, après la mort de sa fiancée, avait pris la résolution de ne pas
lui survivre et que, pour cela, en véritable croyant et poète, il n'avait
pas utilisé de moyens matériels tels que le poison ou l'arme à feu, mais
s'était lentement acheminé vers la mort par des procédés purement
psychiques et magiques, de sorte qu'il mourut très jeune. Le privat-docent
tomba sous le charme de ce mode étrange de vivre et de mourir et fut saisi
par le désir d'en faire autant que le poète et de mourir comme lui, sans
recourir à d'autres moyens que l'imitation morale et une même orientation
de son esprit. Ce qui l'avait poussé à cela, ce n'était pas à proprement
parler le dégoût de la vie mais plutôt la nostalgie du miracle,
c'est-à-dire de l'influence et de la domination des forces de l'âme sur la
vie corporelle. Effectivement, ce privat-docent vécut et mourut à
l'exemple du poète, avant d'avoir atteint sa trentième année. Ce cas avait
fait sensation à l'époque et avait été condamné de la façon la plus sévère
aussi bien par l'ensemble des cercles conservateurs que par cette partie
des jeunes qui trouvaient dans le sport et les plaisirs de la vie
matérielle de quoi satisfaire à leurs exigences. En voilà assez sur ce
sujet. Nous n'avons pas l'intention d'analyser ici cette époque, nous
voulons seulement indiquer l'état d'âme et le climat moral des cercles
auxquels appartenait le candidat Edmond."
Edmund, 1934
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