GALERIE 2003

BAGDAD

 

"Si tu es séparée de ta bien-aimée / Comme l'Orient de l'Occident, / Le cœur s'élance à travers tous les déserts, / Il se fait partout escorte à lui-même, / Pour des amoureux Bagdad n'est pas loin"

Goethe

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Tombe de Hallâj, en 1908

 

"A Bagdad, les affinités existant entre les saints et différents corps sociaux déterminaient une répartition assez nette des lieux de sépulture; ainsi la vieille aristocratie se faisait enterrer près de Ma'ruf al-Karhi ou de Gunayd, tandis que les esclaves noirs allaient près al-Hallag, "le saint proscrit".

Éric Geoffroy

Voir Pierre Rocalve, Hallâj poète

 

LE SYMBOLISME MÉDIÉVAL DE LA DESTINÉE DE BAGDAD

            Il semble que le lieu primitif nommé le « Dieudonné » (Baghdalth : on sait la valeur de la racine « bagh » pour désigner la divinité en slave comme en iranien) a été situé à la digue chaldéenne de la rive Ouest du Tigre, surnommé aujourd'hui « Khadir Eliyas » à l'endroit le plus étroit du fleuve (230 mètres), et que le protecteur immémorial qui n'a cessé d'être invoqué par le peuple bagdadien est ce mystérieux Élie à qui les mères bagdadiennes dédient de frêles esquifs de bâtons assemblés en triangle où elles placent sept cierges allumés : elles les lancent sur le Tigre, à la dérive, quand elles sont angoissées pour le sort de leurs enfants qu'elles confient ainsi à Khadir Eliyas, pensant à son mystérieux navire de la sourate XVIII (versets 9 et 18). Mais ce n'est pas Élie qui a été invoqué en 145/762 à la fondation de la Bagdâd 'abbâside, et le nombre symbolique 309 de sa sourate XVIII ne sera pris en considération qu'épisodiquement par les devins shî'ites en tant que Bagdâd devenant la capitale d'une dynastie qui avait usurpé au 'Irâq la vengeance du sang des 'Alides.

            Toutes les capitales dynastiques de jadis ont été «insurgées» lors de conjonctions astrales favorables calculées et choisies par des experts en astrologie.  Mais tandis qu'en Extrême Orient cette inauguration se faisait dans une perspective d'éternité, en Orient, tant chrétien que musulman, le thème généthliaque de la capitale nouvelle contenait en puissance la limitation temporelle de son destin. On sait que Vestius Valeus avait prédit pour Constantinople, le 11 mai 330, en la dédiant à Tyché (la Fortune), une durée de 696 ans qu’elle dépassera du double (330/1453).  Il semble que l'astrologue Nawbaht (« nouvelle fortune » en persan) prévit pour Bagdâd une durée liée au nombre 309 de la sourate XVIII, symbolique du temps de l'Attente pendant laquelle les ‘Alides fils du Prophète, persécutés, privés de son héritage légitime, emprisonnés ou massacrés au ’lrâq (et à Bagdâd), y attendraient d'y recouvrer leurs droits méconnus depuis la mort du Prophète.

            J'ai montré dans le « Mirage byzantin dans le miroir bagdadien d'il y a mille ans » que, de même que Constantinople avait eu son thème généthliaque le 26 octobre 328 sous le signe du Sagittaire et l'horoscope du Cancer, Bagdâd avait eu le sien, reproduit par le savant Bîrûnî (chron. 230) le 22 rabi' II I45 h. (= 23 juillet I074 de l'ère d'Alexandre correspondant à l'an 762 de notre ère et à l'an 131 de l'ère de Yazdajrard) sous le signe du Lion et l'horoscope du Sagittaire.

              Louis Massignon, Arabica, volume spécial publié à l'occasion du 1200e anniversaire de la fondation de Bagdad, 1962 

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BAGDAD au 13ème siècle

Bagdad est une grande ville où se trouvait le calife de tous les musulmans du monde, à l'instar de Rome où se trouve la résidence du pape des chrétiens. Un très grand fleuve traverse cette ville qui permet d'aller à l'Océan Indien, qui se trouve à dix-huit jours de Bagdad. Ainsi de nombreux marchands vont et viennent par ce fleuve avec leurs marchandises, et arrivent à une ville nommée Kich ; là ils entrent dans l'Océan Indien. Il y a également sur le fleuve, entre Bagdad et Kich, une grande ville qui s'appelle Bassorah. Et tout autour de celle-ci, dans les bois, se trouvent les meilleures dattes du monde. À Bagdad, on fabrique différentes sortes d'étoffes de soie et d'or : nasic, nac et cramoisi ; et d'autres encore de très belle façon. Elle est la plus illustre ville et la plus grande qui soit de toute la région.

Il est entendu qu'un jour, en l'an 1255 du Christ, le seigneur des Tartares du Levant, qui s'appelait Hulegu, le frère du grand Khan qui règne actuellement, constitua une très grande armée, marcha sur Bagdad et la prit de force. Cela ne fut pas une mince affaire, car il y avait à Bagdad plus de cent mille hommes à cheval sans compter ceux qui étaient à pied. Quand il l'eut prise, il trouva une tour appartenant au calife et qui regorgeait d'or, d'argent et d'autres trésors encore, en quantité si importante qu'on n'en avait jamais vu autant réuni en un même lieu. Quand il vit tout ce trésor, il en fut très émerveillé. Il envoya chercher le calife, le fit venir devant lui et lui dit: « Calife, dis-moi donc pourquoi tu as amassé un si grand trésor ? Que devais-tu en faire ? Ne savais-tu pas que j'étais ton ennemi et que je marchais sur toi avec une si grande armée afin de te déposséder ? Pourquoi n'as-tu pas pris tes richesses pour les donner aux cavaliers et aux gens d'armes afin qu'ils te défendent ainsi que ta ville ? »

Le calife ne pipa mot car il ne sut que répondre. Le seigneur lui dit: « Eh bien, calife, puisque je vois que tu aimais tant ton trésor, je vais te le donner à manger. » Il le fit saisir, puis le mit dans la tour du trésor, et exigea que rien ne lui fût donné ni à manger ni à boire, et lui dit: « Eh bien, calife, mange autant de ton trésor que tu le souhaites puisqu'il te plaisait tant, car tu ne mangeras plus rien d'autre que ce trésor. »

Il resta là durant quatre jours, puis mourut. Aussi aurait-il mieux valu pour le calife qu'il eût donné et partagé son trésor avec les gens d'armes qui l'auraient défendu ainsi que sa terre et ses gens, plutôt que d'être pris, dépossédé et mort comme il le fut. Depuis il n'y eut plus de calife ni à Bagdad ni ailleurs.

Marco Polo, Le livre des merveilles du monde