DANTE & NOVALIS

« Et qui voudrait voir avec plus de pénétration encore, appellerait cette Béatrice : Amour, tant est grande sa ressemblance avec moi »

SOMMAIRE

L'histoire des Fidèles d'amour : D'Orient et d'Occident

L'expérience spirituelle des fedeli d'amore : Initiation - Illumination - Conclusion : Le Maître du Silence

A propos de Raphaël

D'Orient et d'Occident :

Henry Corbin et la religion des Fidèles d'amour

Novalis et Ibn 'Arabî

A propos de Sohravardî

 

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Retour à Novalis

  

 

L’amour humain de Dante pour Béatrice forme les prémices de cet amour initiatique qui fera du poète italien un fidèle d’amour après qu’il aura été initié à la voie de la Fidélité d’Amour.

            Dans la relation qui unit Dante et Béatrice, il faut considérer Amour comme étant le maître de Dante et Béatrice, la bien-aimée du poète, en vertu de la ressemblance qui existe entre elle et Amour. Tout le mystère de la Fidélité d’Amour tient dans cette relation.

            Entre Dante et Béatrice demeure la même relation amoureuse, tandis qu’entre Dante et Amour il existe une relation de maître à disciple. Entre Béatrice et Amour se place la ressemblance qui signifie, pour reprendre un mot de Novalis, que Béatrice est « l’enveloppe corporelle » d’Amour.

            La même relation se rencontre justement chez Novalis au moment de la mort de sa fiancée, Sophie. Il n’y a pas rupture de l’amour humain, mais, au contraire, cet amour humain atteint alors sa plénitude. C’est ainsi que la « mort » de la bien-aimée – qui est symétrique de la mort initiatique du fidèle d’amour – constitue la première étape de la Fidélité d’Amour que l’on désigne sous le nom d’étape initiatique, où Amour devient le maître, ou le pôle, terrestre de l’initié.

            La seconde étape constitue une étape visionnaire, c’est elle qui fait entrer dans la connaissance du Maître intérieur qui est le Christ lui-même. Cette étape christique marque aussi l’entrée de l’initié dans le monde de l’Âme où se produit la vision : « Qui ai-je vu ? et qui, lui donnant la main / Ai-je pu voir ? Ne le demandez pas. /  Je ne verrai jamais plus qu’eux… » (Novalis)

            Cette triple relation entre l’aimée, le Christ et le fidèle d’amour est typique de l’expérience intérieure des Fidèles d’Amour : « Christus und Sophie ». Elle en forme l’accomplissement.

            La troisième étape marque le retour de l’initié qui a atteint l’Orient de l’Âme, qui est devenu un adepte, un fidèle d'amour, en ce monde terrestre d’où sa bien-aimée est désormais absente.

            Sa relation amoureuse se vit alors sous un double aspect : Le Maître intérieur de l’adepte est le Christ et son « pôle céleste » est devenu Elle, ou la Vierge Sophie, selon l’enseignement de Jacob Boehme.

            L’adepte unit dans la même relation amoureuse la bien-aimée qui a quitté la manifestation terrestre et celle qui permet désormais la relation de l’adepte avec son Maître intérieur, Sophia, tandis que la même ressemblance entre Elle et la bien-aimée maintient sa relation avec son « pôle céleste ».

            La dernière étape, enfin, intervient au moment de la mort physique. Elle ne concerne que les adeptes qui ont franchi les limites du monde terrestre, autrement dit ceux qui sont entrés dans la Vie avant même de mourir physiquement, comme en témoignera Novalis : « Avec quel ravissement je lui raconterai, quand je me réveillerai et me retrouverai dans le monde antique et primitif, depuis longtemps connu, et quand Elle se tiendra devant moi : je rêvais de toi, je rêvais que sur terre je t'aimais, ton image corporelle était à ta ressemblance, tu mourus... une courte minute d'angoisse se passa et je te suivis. »

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            Ces différentes étapes opèrent dans la seule dimension « théosophique », comme on le dit de la Kabbale théosophique. Mais la voie de la Fidélité d’amour n’est pas exclusive d’autres expériences spirituelles. Cette voie d’Amour se prolonge en voie de connaissance amoureuse, et même, dans certaines conditions, en voie de Connaissance. C’est naturellement le cas de Dante : « Ici la haute fantaisie perdit sa puissance ; / Mais déjà il tournait mon désir et vouloir / Tout comme roue également poussée, / L’amour qui meut le soleil et les autres étoiles », et aussi de Novalis : « La vie parfaite est le ciel ».