► CE QUE DIT FRANCISCO COLOANE DES ALAKALUFS

A propos de Francisco Coloane - Voir aussi Le Paradis des Loutres

 

L'écrivain Francisco Coloane est né en 1910 dans l'île de Chiloé, au sud du Chili. Il est décédé le 5 août 2002

 

 

[ Alakalufs | Peuples oubliés ]

  

"Puerto Eden doit probablement son nom à la fabuleuse beauté du site. A l'extrémité du canal de Messier, bordé de hautes murailles grisâtres, le courant enfle comme une veine pressurée et le sombre couloir monumental débouche sur un monde nouveau, primitif, où règne une nature d'une luxuriance grandiose et indomptée. Après l'imposante austérité de la roche, les îles verdoyantes de Puerto Eden offrent le spectacle d'une splendide oasis qui semble récemment surgie des eaux, et où le voyageur s'attend à rencontrer les premiers hommes...

Toutefois, ces îles sont froides, humides, couvertes d'une épaisse et poreuse couche de tourbe millénaire. De ce tapis de mousse et de lichens s'élèvent des forêts de chênes, de canneliers, de cyprès et de lauriers. C'est sur ces rivages, où abondent fruits de mer et poissons, qu'une race ancestrale a trouvé refuge : les Alakaluf.

Nul ne sait d'où vinrent ces hommes. Après avoir traversé les eaux désertes et tourmentées du Pacifique Sud, ils furent probablement les premiers êtres humains qui foulèrent ce paradis protégé par les murailles andines et par la mer. Distincts des autres aborigènes qui peuplent les régions magellanes, ils reçurent des Yaghan de la Terre de Feu l'étrange nom "d'hommes de l'ouest avec des couteaux en coquillage", ce qui est la signification du mot alakaluf. Puis un jour, l'homme blanc fit son apparition sur ces rivages vierges, introduisant l'alcool et la syphilis, bouleversant l'existence des Alakaluf, qui s'obstinèrent néanmoins à conserver la coutume de trancher le cordon ombilical du nouveau-né avec un coquillage."

Francisco Coloane, Tierra del fuego, 1963

"Le bateau fait escale au Paso del Indio, où les Indiens Alakaluf ont l'habitude de venir en canoë à la rencontre des bateaux. Parmi les femmes qui se trouvent sur ces longues embarcations, je remarque étonné que l'une d'elles tient un pingouin dans ses bras, comme un enfant. Plus tard, j'apprendrai que les Alakaluf protègent leur nouveaux-nés du froid en les couvrant d'une peau de pingouin."

"Aux abords de l'Augostura Inglesa, des canots indigènes, comme jaillis du pied des falaises s'approchèrent de notre bateau. Les montagnes étaient couvertes d'une épaisse couche de neige jusqu"au niveau de la marée haute. Les hommes, les femmes, les enfants et même les chiens me semblèrent être des êtres insolites, venus d'ailleurs. Ils criaient "cueri! cueri!", "guachacay!" (eau-de-vie!). Ils agitaient leurs peaux de loutre et de phoque, offrant de les échanger contre de l'alcool. Une échelle de corde fut déroulée par laquelle ils grimpèrent sur le pont, où passagers et matelots se livrèrent avec eux à une intense activité de troc. Je voyais de vieux vêtements échangés contre des fourrures de valeur."

Francisco Coloane, Le passant du bout du monde, 2000