Parmi les activités moins connues d'une bibliothèque
à vocation patrimoniale figurent notamment le
recensement et la conservation de fonds d'archives
de personnalités. La Bibliothèque cantonale et
universitaire de Lausanne (BCU) endosse ainsi, parmi
ses missions fondamentales, le devoir de collecter
les fonds d'archives d'écrivains, de musicologues ou
de compositeurs d'origine vaudoise ou qui
entretiennent ou ont entretenu une relation étroite
avec le canton de Vaud. Peu d'autres organismes que
les institutions publiques disposent en effet
d'assez de moyens pour sauvegarder, à l'intention
des générations futures, les œuvres, documents
iconographiques, partitions inédites, manuscrits et
correspondances qui manifestent ce que l'on appelle
le génie d'une collectivité.
Une première étape
de cette activité consiste à favoriser l'accueil par
la bibliothèque de ces fonds d'archives. Cela se
concrétise par l'établissement et le maintien d'un
tissu de relations avec les artistes vivants, ou
avec leurs descendants, afin d'expliquer l'intérêt
qui existe pour tous que les témoins d'une œuvre ne
soient pas dispersés, voire définitivement perdus.
Une fois les documents acquis, par don ou par dépôt,
il s'agit de les conserver au mieux pour les
préserver de la dégradation naturelle des supports
papier. Là aussi, les efforts sont importants, non
seulement dans le domaine de l'inventaire ou du
classement, mais surtout au travers des mesures
prises pour contrer les effets néfastes de l'acidité
du papier et des encres.
Tout ceci est bel
et bon, lorsqu'on en a les moyens, mais ne nous
semble pas suffisant, car la conservation pour
elle-même ne saurait être le but ultime. Les
écrivains et compositeurs dont nous abritons les
archives n'aspirent pas à un enterrement, fût-il de
première classe, dans les tréfonds d'une
bibliothèque. C'est pourquoi l'activité la plus
intéressante et la plus nécessaire consiste à mettre
en valeur ces fonds, à les présenter au public, à
les faire vivre pour la communauté.
Durant ces toutes
dernières années, la BCU a accru son effort dans le
domaine de la littérature romande et de la poésie en
particulier, en attirant ou en étoffant les fonds de
Philippe Jaccottet, Anne Perrier, Pierre-Alain
Tâche, François Debluë, Marguerite Burnat-Provins,
Charles-Albert Cingria, Gustave
Roud et d'autres. L'acquisition de ces fonds se
concrétise par un dépôt ou un don, fondé sur la
confiance, ou quelquefois par un achat. Plusieurs
expositions consacrées à l'un ou l'autre de ces
auteurs ont été présentées ou sont en préparation
pour l'année qui vient.
Et c'est animés de
cette même préoccupation envers la renommée d'une
œuvre, et bien que nous n'ayons aucun fonds
d'archives à son nom, que nous avons accueilli à
bras ouverts l'exposition préparée par les Amis
d'Armel Guerne, et consacrée à celui qui fut, devant
l'Éternel, un grand et respecté traducteur de
nombreux poètes européens. Présentée durant
plusieurs mois dans les vitrines de la BCU, cette
rétrospective a rappelé à plus d'un Vaudois que
Guerne était né enfant du pays, avant de poursuivre
en France une carrière poétique et littéraire que
beaucoup avaient oubliée.
A une époque où
renaît en Suisse la question de la perception d'un
droit de prêt en faveur des écrivains, le tantième
des bibliothèques, il nous paraît nécessaire de
rappeler que les bibliothèques ne veulent pas être
perçues seulement comme des établissements qui
lèsent les auteurs en prêtant à tour de bras des
ouvrages qu'elles n'ont payé qu'une fois, mais aussi
et surtout comme des dépositaires privilégiés qui,
modestement mais volontairement, contribuent
activement à la renommée, si ce n'est à la survie
économique, de ceux qui méritent qu'on ne les oublie
pas.
Hubert Villard,
Directeur de la Bibliothèque cantonale et
universitaire de Lausanne
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