Nicolas Bouvier et Thierry
Vernet, son compagnon de voyage, qui illustrera L'Usage du Monde
Il a été beaucoup écrit sur
L'Usage du Monde, le premier ouvrage - magistral - de Nicolas Bouvier.
Il s'agit effectivement d'un livre bien remarquable, qu'un quatrain de
Hafiz, cité par Nicolas Bouvier lui-même, - il l'avait inscrit sur la
portière de gauche de sa Topolina, - résume mieux que tout autre
commentaire : Même si l'abri de ta nuit est peu sûr / et ton but encore
lointain / sache qu'il n'existe pas / de chemin sans terme / Ne sois pas
triste."
*
"C'est la contemplation
silencieuse des atlas, à plat-ventre sur le tapis, qui donne ainsi l'envie
de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le
Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu'on y croire, aux
idées qui vous y attendent..."
"La vie nomade est une chose
surprenante. On fait quinze cents kilomètres en deux semaines : toute
l'Anatolie en coup de vent. Un soir, on atteint une ville déjà obscure où
de minces balcons à colonnes et quelques dindons frileux vous font signe.
On y boit avec deux soldats, un maître d'école, un médecin apatride qui
vous parle allemand. On baille, on s'étire, on s'endort. Dans la nuit, la
neige tombe, couvre les toits, étouffe les cris, coupe les routes... et on
reste six mois à Tabriz, Azerbaïdjan."
"La musique du persan est
superbe, et cette poésie nourrit d'ésotérisme soufi, une des plus hautes
du monde. En doses massives, elle a cependant ses dangers : elle finit par
remplacer la vie au lieu de l'élever, et fournit à certains un refuges
honorable hors d'une réalité qui aurait pourtant bien besoin de sang
frais. A l'exemple d'Omar Khayam, beaucoup de jeunes persans : ...
déchiraient en secret le triste plan du monde... puis ils en restaient
là" "Ce jour-là, j'ai bien cru tenir
quelque chose et que ma vie s'en trouverait changée. Mais rien de cette
nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse
et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace
devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance
centrale de l'être qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr" |