GALERIE ORIENTALE

SOMMAIRE

L'atelier

Art et contemplation

Une inspiration nomade

Hommage à Nicolas Bouvier

Galerie orientale

Galerie extrême-orientale

 

 

 

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Dans d'autres édifices que la mosquée, dans l'architecture civile des palais et des maisons privées, le décor des murs est moins strictement contrôlé, mais les mêmes principes de style dominent : le décor artistique musulman ne cherche pas à imiter le Créateur dans ses oeuvres par le relief et le volume des formes, mais l'évoque, par son absence même, dans une présentation fragile, inachevée, périssable comme un voile, qui souligne simplement, avec une résignation sereine, le passage fugitif de ce qui périt, et tout est périssable « excepté son visage ». La matière de l'artiste est malléable, humble, sans épaisseur : du plâtre, du stuc, et l'ornementation comporte des incrustations au lieu de reliefs.  Quant aux sujets, ce sont des formes géométriques, mais des formes géométriques ouvertes. C'est un rappel, une figuration sensible d'une thèse de théologie dogmatique fondamentale, à savoir que les figures et les formes n'existent pas en soi, et sont incessamment recréées par Dieu. Nous trouvons ainsi des polygones entrecroisés, des arcs de cercle à rayons variables, l'arabesque, qui est essentiellement une espèce de négation indéfinie des formes géométriques fermées, qui nous interdit de contempler, comme le faisait la pensée grecque, la beauté d'un cercle en lui-même, la beauté d'un polygone fermé comme d'un pentacle magique et planétaire. A côté des arabesques en stuc, nous trouvons des mosaïques et, lorsque les murs ou les planchers sont recouverts, des tapis.  Ces mosaïques et ces tapis appliquent un principe artistique qu'on peut appeler le principe du blason.  Il n'y a pas de nuances dégradées pour passer d'une teinte à une autre, car elles s'opposent, mais cinq couleurs au plus et des couleurs mates, sans transparence ni perspective, intenses, De même que dans les blasons, il s'agit avant tout d'affirmer des contrastes. Les sujets traités dans les tapis sont soit des semis de fleurs stylisées, soit des animaux hiératisés. Ces fleurs ne sont pas très nombreuses, on en a compté cinq espèces dans la Perse du XVe siècle; quant aux animaux hiératisés, il n'y en a pas plus de trois ou quatre, comme le griffon et le phénix; ce sont, encore une fois, des groupements arbitraires d'écussons colorés, d'atomes décoratifs; il n'y a rien qui illustre mieux la thèse théologique qui nie la permanence formelle de la nature que la doctrine du blason, avec ses oppositions brutales de couleurs et de métaux nobles, et ses fleurs et animaux fantastiques "pétrifiés".

Nous pourrions, sur les autres aspects du décor de la vie, procéder à des analyses analogues : sur les coutumes qui règlent les salutations et les souhaits, sur la coupe des vêtements, sur leurs broderies d'or plaqué, et même sur l'assaisonnement des repas aux condiments heurtés et sans progression; tout le décor social culmine dans deux aspects supérieurs où l'intelligence se concentre ou se délasse : le style dans la littérature et le rythme dans la musique; deux aspects qui nous amèneront ainsi au seuil même du Livre de la "récitation" sacrée psalmodiée dans tout le monde musulman, qui s'appelle le Coran.

Louis Massignon, En Islam, Mosquées et jardins (1939)