L'ART SACRE DE L'ISLAM

Imago Dei

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Copyright©1998, Jean Moncelon

 

 

 

 

"Nous ne reconnaissons dans l’icône rien d’autre qu’une image représentant une ressemblance du Prototype ". Ainsi s’exprime le VIIème Concile œcuménique. Dieu est au-delà de toute représentation, mais dès lors qu’Il s’est incarné, on peut l’adorer à travers l’image humaine du Christ. On ne saurait donc confondre l’image et son Modèle divin, on ne saurait non plus faire de cette image une idole !

C’est aussi ce que toute une école de spiritualité islamique fera en " traversant ", sans s’y arrêter, le visage humain de l’aimée : " Si je te contemple en éprouvant le sentiment d’être séparé de l’inaccessible, alors je suis un fidèle d’amour " (Rûzbehân Baqlî de Shiraz).

L’iconographie verbale

Si l’icône est " le Nom dessiné ", son équivalent, dans l’art de l’Islam serait la calligraphie, mais la calligraphie n’induit pas le mode de contemplation de l’icône, bien au contraire, puisqu’elle donne une forme visible à une Parole et non à une image sacrée comme l’image humaine du Christ. En fait, c’est la poésie qui, en Islam, et spécialement en Islam iranien, joue un rôle équivalent à l’icône. C’est pourquoi on peut parler d’une iconographie verbale.

De quoi s’agit-il ? Les images poétiques composent une image qui est à la ressemblance de l’image sacrée de l’Ami. Mais c’est bien l’Ami ou le Bien-Aimé que l’on vénère et non l’image que le poème donne de lui. Le spirituel ne saurait tomber dans ce piège grossier. Il lui importe de contempler dans le secret de son cœur le Visage de l’Ami avant de Lui être réuni :

L’Ami a confié à Hâfez / cette âme d’emprunt, provisoire : / Un jour je verrai son visage / et, mon âme, je la rendrai. "

(Hâfez, ballade n°343)

 

"Comme splendeur terrestre de la divinité, le Xvarnah Imaginé par l'âme transfigure la Terre en une Terre céleste, paysage glorieux symbolisant avec le paysage paradisiaque de l'au-delà"

Henry Corbin

Y a-t-il un art visionnaire chrétien, disons depuis la Renaissance, qui puisse passer pour un art sacré ? Ce qui paraît évident est que certaines manifestations de l’art chrétien comme de l’art de l’islam appartiennent à un ordre que l’on peut qualifier de visionnaire... et même si l’on se trouve en cette matière dans les marges de l’art sacré tel qu’il a été décrit précédemment.

L’art visionnaire n’est pas, à proprement parler, un art sacré, mais c’est un art, d’inspiration chrétienne ou musulmane, qui prétend traduire sous une forme ou une autre quelque chose de l’expérience intérieure ou plutôt de la vision  que l’artiste a des mondes intérieurs, de ce qu’il voit dans ce monde intermédiaire entre le monde visible et le monde invisible, qui permet la perception de ce qui ne serait pas autrement perceptible, de ce monde de l’Imagination (qui n’est pas l’imaginaire) servant de lien " visuel " entre le monde du divin et le monde terrestre.

Il s’agit par conséquent d’un art qui donne à voir ce qui communément ne se voit pas et qui ne peut se voir qu’avec " les yeux de l’âme " ou " l’œil du cœur ".

Quant au monde intermédiaire ou monde supra-sensible, il a été décrit de toutes les manières possibles. On en trouve la description aussi bien dans la littérature, y compris là où on ne s’attendrait peut-être pas à le trouver - chez Balzac, par exemple, cf. Séraphita ou Louis Lambert , - que dans la philosophie, ou mieux dit la théosophie (Swedenborg, Steiner, Ibn Sîna, Ibn ‘Arabî), dans la peinture comme dans la musique, en Orient comme en Occident.

Il est intemporel, de la même manière que les expériences visionnaires sont, elles, hors de l’espace, et c’est pourquoi, d’ailleurs, certaines " coïncidences " en terme de géographie spirituelle sont pour le moins troublantes lorsqu’on découvre la description d’un même " lieu " aussi bien chez un spirituel musulman iranien du 12ème siècle que chez une mystique chrétienne de Westphalie du 19ème siècle!

Il existe pourtant, en matière d’art pictural, une différence essentielle et non moins troublante.

Dans l’art musulman, l’artiste peint ce qu’il a vu, alors que dans l’art chrétien, il décrit ce qu’il s’attend à voir. Peut-être la raison en est-elle que le Christianisme reste fondamentalement la religion de la Rencontre, alors que l’Islam est celle du Témoignage. Rencontre de l’âme humaine avec son bien-aimé Jésus-Christ, d’une part, et Témoignage de l’Unicité divine, d’autre part. Il faudrait pour cela comparer certains tableaux de C.K. Friedrich ou de Georges Rouaud avec ces visions paradisiaques dont les artistes iraniens ont le secret.

Dans un autre ordre, on pourrait procéder à la même analyse avec telles compositions musicales de Richard Strauss ou celles d’un Anton Bruckner qui appartiennent au même monde visionnaire. Cependant, est-il abusif de dire qu’il n’existe plus à notre époque de musique sacrée chrétienne, mais uniquement de la musique religieuse ou liturgique et que s’il fallait comparer avec telles ou telles compositions musicales du monde islamique, y compris contemporaines comme celles de Nusrat Fateh Ali Khan, il faudrait remonter à Hildegarde de Bingen ?

Le domaine de la poésie, enfin, introduit les mêmes rapports. Lorsque Pascal écrit son Mémorial, ce n’est certes pas pour l’art, même sacré. En revanche, quand le poète iranien " parle de l’Image du Bien-Aimé divin et loue sa Beauté, il a effectivement vu cette Image. " Pourtant, certains Hymnes à la Nuit de Novalis traduisent exactement ce qu’il a vu : le tertre, la Bien-aimée transfigurée, etc.

Tout se passe comme si dans un univers spirituel dévasté comme celui du monde occidental, où l’art sacré a réellement disparu avec la conception théocentrique qui en faisait toute la pertinence, il ne restait plus que des manifestations d’un art visionnaire à la recherche de ses sources, d’une tradition qui l’a déserté. Encore faudrait-il ajouter que ces manifestations sont devenues a priori  impossibles dans l’art moderne, sinon comme une tragique parodie, inaugurée par un célèbre philosophe de la " mort de Dieu ", et qui culmine ou plutôt s’abîme définitivement dans les œuvres d’un Bacon, par exemple.

Inversement, lorsque l’art visionnaire, dans un univers comme celui du monde musulman, échappe à ce qui le légitime, c’est-à-dire à un son " orientation ", il entre dans une sorte de décadence. L’art persan, par exemple, n’échappe à cette règle. Les modèles restent les mêmes, mais le langage formel traditionnel aussi bien que la " vision " intériorisée ont disparu.

En fait, l’art visionnaire est de toutes les religions révélées. Il se tient certes aux marges de l’art sacré, il n’en est pas moins un art sacré lorsque la vision qu’il donne à voir est celle qui se manifeste dans le secret du Cœur visité par l’Ami ou par le Bien-aimé, par ‘Alî ibn Abî Tâleb ou par Jésus-Christ. Autrement dit, il est un art sacré lorsqu’il évoque l’Imago dei.

L’image divine, pour le christianisme, c’est " la forme humaine du Christ " et l’art consiste à transfigurer l’homme. Dans cette perspective, l’image divine par excellence est l’icône.

Pour l’Islam, le miracle est celui de " la Parole divine révélée directement dans le Coran " et l’art sacré est par conséquent " la manifestation de l’Unité divine dans la beauté et dans la régularité du cosmos ". Cependant, l’image divine existe aussi dans l’art islamique, mais non sous la forme de l’icône, ou plutôt cette icône n’est pas autrement figurée que dans la poésie et particulièrement dans la poésie persane. Il s’agit d’une icône verbale.

Bibliographie

  • Titus Burckhardt, Principes et méthodes de l’art sacré , Dervy, 1995 et L’art de l’Islam , Sindbad, 1985

  • Nadjm oud-Dim Bammate, Cités d’Islam , Arthaud, 1987

  • Louis Massignon, En islam Jardins et Mosquées , Le Nouveau Commerce, 1981

  • Annemarie Schimmel, Terres d’Islam, Aux sources de l’Orient musulman, Maisonneuve & Larose, 1996

  • Nasrollah Pourjavady, " Origines historiques de l’Imago Dei ", Luqmân, Presses Universitaires d’Iran, Automne-hiver, 1991-92.

  • Paul Evdokimov, L’art de l’icône , Desclée de Brouwer, 1972