L'ART SACRE DE L'ISLAM

Aperçus sur l'art islamique

SOMMAIRE

Art sacré - L'Image divine - Notions d'art islamique

 

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Copyright©1998, Jean Moncelon 

 

Pourquoi l’interdiction de la représentation humaine ou animal dans l’Islam ?

Il convient avant toute chose de bien distinguer l’aire persane ou indienne et l’aire arabe. Les critères en effet varient selon que l’on parle de l’art persan, célèbre d’ailleurs par ses miniatures, ou de l’art indien et de l’art arabe sur lequel pèse une interdiction de représenter toute créature vivante, êtres humains ou animaux.

Les arguments de l’Islam sunnite

Le peintre sera condamné à donner vie à ses créations. Ce qui, naturellement, lui sera impossible, parce que Dieu seul peut insuffler la vie à un corps. Il est à noter que le Coran attribue mystérieusement ce pouvoir à Jésus, fils de Marie (cf. Coran, V, 110 : " Tu crées de terre, une forme d’oiseau - avec ma permission -. Tu souffles en elle, et elle est : oiseau - avec ma permission "). On raconte aussi que lorsque Mohammed pénétra dans la Kaaba, après la défaite des Mecquois, il ordonna que toutes les images - en fait des idoles - fussent détruites, à l’exception d’une icône représentant Marie et Jésus : " Il mit sa main sur une représentation de Marie tenant Jésus sur ses genoux et dit : " effacez toutes ces images à l’exception de celles que mes mains recouvrent. " Un autre propos du prophète de l’Islam aussi est curieux. Il aurait dit : " Les anges n’entrent pas dans une maison dans laquelle se trouve une peinture ou un chien ".

Le point de vue de l’Islam shî’ite

En fait, pour nombre de musulmans shî’ites cette interdiction est infondée - dès lors qu’elle n’apparaît pas dans le saint Coran, - et elle leur paraît plutôt remonter à la période pré-islamique, les théologiens musulmans lui ayant donné un caractère religieux. On peut aussi estimer que cette interdiction, qui n’est pas absente de la sainte Bible, appartient au pur monothéisme sémitique. Il ne faut pas confondre non plus l’iconoclasme byzantin et l’aniconisme propre à l’art musulman. L’aniconisme, en effet, répond à une exigence qui est de faciliter la contemplation ou, en d’autres termes, d’empêcher que l’esprit soit détourné du " vide contemplatif " par des formes ou des figures. Il n’entretient donc pas a priori  de confusion entre l’image et l’adoration d’un autre que Dieu, c’est-à-dire d’une idole. C’est d’ailleurs pourquoi les musulmans acceptent l’iconodulie chrétienne. Si une statue de saint, dans une église, peut effectivement distraire l’esprit, elle ne saurait passer pour une idole de pierre ! L’icône, elle, s’inscrit dans une autre dimension.

 

L'islam est une religion dotée d’un Livre saint, le Coran, et d’une Loi, la Sharia, constituée à la fois de préceptes inscrits dans ce Livre et d’un certains nombre de dits du Prophète Mohammed qui forment ce que les musulmans appellent la Sunna. Ce prophète est tenu pour le Sceau des Prophètes, ce qui signifie que le cycle de la prophétie qui remonte à Adam, pour les musulmans, est désormais clos. Il est à noter que les musulmans vénèrent le saint Coran avant le prophète Mohammed, alors que pour le Christianisme la vénération des croyants se portent sur la personne de Jésus-Christ avant  les Évangiles . Il y a là un rapport intéressant qui place effectivement le saint Coran à l’origine de l’art sacré de l’Islam, comme Jésus-Christ, la forme humaine du Fils de Dieu, est la source de l’art sacré chrétien.

La profession de foi musulmane, elle, consiste dans l’attestation de l’Unicité de Dieu - " Il n’y a de dieu que Dieu ", " Lâ ilâha illâ Allâh " - complétée par l’attestation que Mohammed est son prophète - " et Mohammed est Son prophète ", - "wa Mohammadan rasûl Allâh ".

Au risque de heurter certains croyants, il faut évoquer l’existence d’un Islam shî’ite qui ajoute à la profession de foi musulmane des Sunnites (90% des musulmans) l’affirmation selon laquelle " ‘Alî est l’ami (le vali) de Dieu ". Pourquoi ‘Alî, gendre du prophète Muhammad ? Non seulement parce qu’il aurait dû lui succéder immédiatement, mais aussi parce qu’il incarne la " voie spirituelle " de l’islam. Ajoutons que la descendance de ‘Alî et de Fatima constitue ce que les shî’ites appellent la lignée des saints Imâns dont le XIIème (ou le VIIème, chez les Ismaéliens) est désormais occulté, c’est-à-dire invisible aux yeux de ses fidèles, mais présent dans leurs cœurs. Selon le mot de Louis Massignon, les shî’ites sont les " légitimistes de l’Islam ".

Certes, il serait impropre de parler d’art shî’ite, mais il faut quand même considérer que le rapport des musulmans shî’ites à l’art sacré de l’islam est singulier, ne serait-ce que parce qu’ils sont dans leur majorité Persans - nous aurons à y revenir.

Il n’en reste pas moins que l’Islam est une communauté - la Umma - qui ne distingue pas entre les nationalités. Louis Massignon raconte qu’au début du siècle à Aden, voulant s’enquérir de la nationalité d’un marin, il lui avait demandé s’il était yéménite, somalien ou éthiopien. Le marin lui répondit : " Ana muslim " - " Je suis musulman ". Il y a là une indication précieuse. Il n’est pas possible de parler d’art arabe ou persan ou indien, sans faire référence à une dimension religieuse unique, à savoir l’Islam. En d’autres termes, il y a un art islamique ou, si l’on préfère, arabo-musulman avec des particularités locales qui ressortissent à la même tradition qui est la tradition islamique. (De même existe-t-il un art arabe chrétien).

Il est exact que la théologie musulmane a bien souvent interprété certaines propos du prophète Mohammed, voire certaines sourates du Livre saint, dans un sens qui en a altéré l’inspiration (le tchador iranien, par exemple, est assez éloigné du voile - le hijab  décrit dans le saint Coran). L’Occident est responsable quant à lui de nombre de jugements erronés à propos de l’Islam et ceci, dès le moyen âge.

Ainsi du Paradis dont le saint Coran, certes, dépeint longuement les plaisirs, mais c’est oublier que le Paradis pour le musulman peut bien n’être qu’une prison. Il y a, en effet, une différence évidente entre " les chercheurs de la récompense créée " et " les chercheurs de l’Essence ". On connaît le mot d’une célèbre mystique musulman, Rabi’a (morte à Basra, en 801) : " Le Paradis n’est qu’un piège / pour attraper les âmes pieuses."

Il en va de même quant au prétendu fatalisme du monde musulman, alors qu’il s’agit pour le musulman d’un abandon à la Volonté divine, expression d’une confiance absolue dans Sa providence. " Tout ce qui nous arrive est adorable ", écrivait Léon Bloy. Rappelons aussi que Abraham, dans le saint Coran, est dit " ni juif, ni chrétien ", mais hanîf  - c’est-à-dire " détaché " - et muslîm  - c’est-à-dire " soumis ".

Enfin, il est un dernier point assez délicat à traiter, mais qui, dans le propos qui nous intéresse, ne peut être passé sous silence. Il existe, en effet, un ésotérisme islamique ou, en d’autres termes cohabitent en Islam exotérisme et ésotérisme, un extérieur (zâhir ) et un intérieur (bâtin ). Lorsque Rabi’a dit, par exemple : " Pense au Voisin d’abord, ensuite à la maison ", elle reprend un célèbre dicton qui signifie que le choix des voisins est plus important que celui de la maison elle-même, mais elle exprime autre chose, à savoir qu’il faut se préoccuper de Dieu avant de penser au Paradis.

Et c’est d’ailleurs pourquoi, dans l’art musulman, l’accès à la forme intérieure n’est jamais scellé comme dans l’art moderne, même quand celui-ci - c’est le cas de l’art abstrait - a fait voler en éclats la forme extérieure. L’art sacré de l’Islam est même l’art de l’équilibre entre l’extérieur et l’intérieur, avec une allusion à Celui qui " habite " l’intérieur, c’est-à-dire HUWA, Lui.

On retrouve sans cesse dans l’art de l’Islam et jusque dans la conception de l’habitation, cet espace du dehors et du dedans.

Enfin, il n’existe pas dans l’Islam de séparation entre l’art profane et l’art sacré. Les plus simples manifestations artistiques participent de l’art sacré. De la même manière qu’il n’existe pas non plus de séparation possible entre le religieux et le social, qu’au contraire c’est la cohésion de l’ordre religieux et l’ordre social qui légitime les manifestations artistiques. Pareillement, enfin, on ne trouve pas la distinction moderne entre l’artiste et l’artisan.

Le sens du rythme et le génie géométrique

L’art de l’Islam est rythme et géométrie. Le rythme manifeste l’Unité dans l’ordre temporel et la géométrie la manifeste dans l’ordre spatial. Or, cette Unité dont l’Attestation est connue : " Il n’y a de dieu que Dieu " rappelle que Dieu a un Nom : Allâh  , qui se laisse contempler.

Selon le mot de Louis Massignon, toutes les formes de l’art de l’Islam sont une " allusion concise au Nom ineffable ". On sait que si le saint Coran peut apparaître abrupt dans ses formulations, pour un lecteur occidental, c’est pour la raison qu’il est implicite  et qu’il convient de le lire " en profondeur ". De la même manière on ne peut aimer l’art islamique que dans cette dimension de " l’allusion concise " dont parle Louis Massignon.

L’art de l’Islam est allusif, il est aussi " affleurement ", il est surtout humilité devant Celui qui est Toute Grandeur, et cette humilité se traduit dans le choix des matériaux souvent périssables, comme le stuc ou le plâtre, et jusque dans les instruments, car "la pauvreté de l’instrument n’est autre que celle du serviteur (‘abd) alors que la beauté de l’Oeuvre ne peut être que le reflet de la qualité du Seigneur (rabb)  ".

Le Rocher et le Centre

Les deux " centres " du monde musulman sont le rocher du Moriah, à Jérusalem, sur lequel s’élève la mosquée appelée Dôme du Rocher - l’appellation " Mosquée de Omar " est erronée - et la pierre noire insérée dans la Kaaba, à La Mecque.

Ce " cube " (qui est la traduction même du mot Kaaba), irrégulier, est revêtu chaque année d’un nouveau " vêtement " (kiswâ ), toujours noir et brodé de fils d’or.

C’est le centre terrestre de la communauté musulmane. Ces quatre angles figurent les quatre points cardinaux. Il est traversé par un " axe " qui est en quelque sorte l’axe du ciel, puisque la Kaaba en est l’extrémité inférieure et que cet axe traverse tous les cieux jusqu’au Trône divin. Au centre de la Kaaba se trouve donc le centre du monde terrestre.

On peut dire que la Kaaba est le centre liturgique  de l’Islam.

Elle est aussi l’origine de l’Islam , puisque la Kaaba fut élevée par Abraham, aidé par Ismaël, et même l’origine de toutes les religions monothéistes, dès lors que Abraham est " le Père de tous les croyants ".

Le Rocher du Moriah rappelle également Abraham, puisque c’est sur cette pierre qu’il esquissa le sacrifice d’Ismaël - et non d’Isaac, comme il est rapporté dans l’Ancien Testament. C’est au Moriah aussi que le prophète de l’Islam eut son " Ascension ", l’isrâ’ .

Quant au Dôme du Rocher, à Jérusalem, il a ceci de remarquable que malgré une influence byzantine évidente, il s’inscrit dans une symbolique typiquement islamique. Sous la coupole qui symbolise le Ciel, on trouve 4 piliers et 12 colonnes, un déambulatoire composé de 8 piliers et de 16 colonnes, ce qui donne un total de 40, qui est le nombre des abdâl , ces " piliers " de la communauté islamique qui se succèdent de siècle en siècle. A quoi s’ajoutent les 4 portails figurant les quatre points cardinaux.

Du " Voyage nocturne " du prophète de l’Islam à la Caverne des Ahl al-Kahf

La Caverne figure le cœur de l’homme, son " secret ", son centre intérieur. On retrouve ce même motif aussi bien dans " l’ascension " (isrâ’ ) du prophète Mohammed que dans le sommeil des Sept bienheureux jeunes gens, " emmurés vivants ", les Ahl al-Kahf . On le retrouve très explicite, comme nous le verrons, dans un élément liturgique de la mosquée, le mihrâb.

La Caverne permet le passage aux mondes supérieurs. C’est vrai dans le " Voyage nocturne " du prophète de l’Islam. La tradition rapporte que le Prophète, alors à la Mecque, fut transporté à Jérusalem, sur une animal fabuleux appelé Burâq , qu’il pria ensuite sur l’emplacement du Temple, puis qu’il fut élevé par l’ange Gabriel, à partir de la caverne sous le Rocher du Moriah, à travers les " sept cieux ", jusqu’au " Lotus de la limite extrême " : " Il était à une distance de deux portées d’arc - ou moins encore - et il révéla à son serviteur ce qu’il lui révéla.

Le cœur n’a pas inventé ce qu’il a vu. Allez-vous donc élever des doutes sur ce qu’il voit " (LIII, 9-12).

C’est vrai aussi pour les saints Dormants visités, " enseignés ", tout au long de leur sommeil, par le Seigneur des Mondes. Ces saints Dormants, les " Gens de la Caverne ", sont les VII Dormants d’Éphèse, martyrs chrétiens, qui forment le motif central de la sourate XVIII du saint Coran. En Islam, ce sont des Témoins de la résurrection des corps, puisque Dieu les a réveillés après 309 ans de sommeil miraculeux. Leurs sanctuaires sont répandus de la Bretagne à la Chine, de la Finlande au Yémen, dans l’Orient chrétien et musulman aussi bien que dans l’Occident latin.