L'islam est une
religion dotée d’un Livre saint, le Coran, et d’une Loi,
la Sharia, constituée à la fois de préceptes inscrits
dans ce Livre et d’un certains nombre de dits du
Prophète Mohammed qui forment ce que les musulmans
appellent la Sunna. Ce prophète est tenu pour le Sceau
des Prophètes, ce qui signifie que le cycle de la
prophétie qui remonte à Adam, pour les musulmans, est
désormais clos. Il est à noter que les musulmans
vénèrent le saint Coran avant le prophète Mohammed,
alors que pour le Christianisme la vénération des
croyants se portent sur la personne de Jésus-Christ
avant les Évangiles . Il y a là un rapport intéressant
qui place effectivement le saint Coran à l’origine de
l’art sacré de l’Islam, comme Jésus-Christ, la forme
humaine du Fils de Dieu, est la source de l’art sacré
chrétien.
La profession de foi musulmane, elle,
consiste dans l’attestation de l’Unicité de Dieu - " Il n’y a de dieu que
Dieu ", " Lâ ilâha illâ Allâh " - complétée par l’attestation que
Mohammed est son prophète - " et Mohammed est Son prophète ", - "wa
Mohammadan rasûl Allâh ".
Au risque de heurter certains
croyants, il faut évoquer l’existence d’un Islam shî’ite qui ajoute à la
profession de foi musulmane des Sunnites (90% des musulmans) l’affirmation
selon laquelle " ‘Alî est l’ami (le vali) de Dieu ". Pourquoi ‘Alî,
gendre du prophète Muhammad ? Non seulement parce qu’il aurait dû lui
succéder immédiatement, mais aussi parce qu’il incarne la " voie
spirituelle " de l’islam. Ajoutons que la descendance de ‘Alî et de Fatima
constitue ce que les shî’ites appellent la lignée des saints Imâns dont le
XIIème (ou le VIIème, chez les Ismaéliens) est désormais occulté,
c’est-à-dire invisible aux yeux de ses fidèles, mais présent dans leurs
cœurs. Selon le mot de Louis Massignon, les shî’ites sont les " légitimistes
de l’Islam ".
Certes, il serait impropre de parler
d’art shî’ite, mais il faut quand même considérer que le rapport des
musulmans shî’ites à l’art sacré de l’islam est singulier, ne serait-ce que
parce qu’ils sont dans leur majorité Persans - nous aurons à y revenir.
Il n’en reste pas moins que l’Islam
est une communauté - la Umma - qui ne distingue pas entre les nationalités.
Louis Massignon raconte qu’au début du siècle à Aden, voulant s’enquérir de
la nationalité d’un marin, il lui avait demandé s’il était yéménite,
somalien ou éthiopien. Le marin lui répondit : " Ana muslim " - " Je suis
musulman ". Il y a là une indication précieuse. Il n’est pas possible de
parler d’art arabe ou persan ou indien, sans faire référence à une dimension
religieuse unique, à savoir l’Islam. En d’autres termes, il y a un art
islamique ou, si l’on préfère, arabo-musulman avec des particularités
locales qui ressortissent à la même tradition qui est la tradition
islamique. (De même existe-t-il un art arabe chrétien).
Il est exact que la théologie
musulmane a bien souvent interprété certaines propos du prophète Mohammed,
voire certaines sourates du Livre saint, dans un sens qui en a altéré
l’inspiration (le tchador iranien, par exemple, est assez éloigné du voile -
le hijab décrit dans le saint Coran). L’Occident est
responsable quant à lui de nombre de jugements erronés à propos de l’Islam
et ceci, dès le moyen âge.
Ainsi du Paradis dont le saint Coran,
certes, dépeint longuement les plaisirs, mais c’est oublier que le Paradis
pour le musulman peut bien n’être qu’une prison. Il y a, en effet, une
différence évidente entre " les chercheurs de la récompense créée " et " les
chercheurs de l’Essence ". On connaît le mot d’une célèbre mystique
musulman, Rabi’a (morte à Basra, en 801) : " Le Paradis n’est qu’un piège /
pour attraper les âmes pieuses."
Il en va de même quant au prétendu
fatalisme du monde musulman, alors qu’il s’agit pour le musulman d’un
abandon à la Volonté divine, expression d’une confiance absolue dans Sa
providence. " Tout ce qui nous arrive est adorable ", écrivait Léon Bloy.
Rappelons aussi que Abraham, dans le saint Coran, est dit " ni juif, ni
chrétien ", mais hanîf - c’est-à-dire " détaché " - et
muslîm - c’est-à-dire " soumis ".
Enfin, il est un dernier point assez
délicat à traiter, mais qui, dans le propos qui nous intéresse, ne peut être
passé sous silence. Il existe, en effet, un ésotérisme islamique ou, en
d’autres termes cohabitent en Islam exotérisme et ésotérisme, un extérieur (zâhir
) et un intérieur (bâtin ). Lorsque Rabi’a dit, par exemple : " Pense
au Voisin d’abord, ensuite à la maison ", elle reprend un célèbre dicton qui
signifie que le choix des voisins est plus important que celui de la maison
elle-même, mais elle exprime autre chose, à savoir qu’il faut se préoccuper
de Dieu avant de penser au Paradis.
Et c’est d’ailleurs pourquoi, dans
l’art musulman, l’accès à la forme intérieure n’est jamais scellé comme dans
l’art moderne, même quand celui-ci - c’est le cas de l’art abstrait - a fait
voler en éclats la forme extérieure. L’art sacré de l’Islam est même l’art
de l’équilibre entre l’extérieur et l’intérieur, avec une allusion à Celui
qui " habite " l’intérieur, c’est-à-dire HUWA, Lui.
On retrouve sans cesse dans l’art de
l’Islam et jusque dans la conception de l’habitation, cet espace du dehors
et du dedans.
Enfin, il n’existe pas dans l’Islam de
séparation entre l’art profane et l’art sacré. Les plus simples
manifestations artistiques participent de l’art sacré. De la même manière
qu’il n’existe pas non plus de séparation possible entre le religieux et le
social, qu’au contraire c’est la cohésion de l’ordre religieux et l’ordre
social qui légitime les manifestations artistiques. Pareillement, enfin, on
ne trouve pas la distinction moderne entre l’artiste et l’artisan.
Le sens du rythme et le
génie géométrique
L’art de l’Islam est rythme et
géométrie. Le rythme manifeste l’Unité dans l’ordre temporel et la géométrie
la manifeste dans l’ordre spatial. Or, cette Unité dont l’Attestation est
connue : " Il n’y a de dieu que Dieu " rappelle que Dieu a un Nom : Allâh
, qui se laisse contempler.
Selon le mot de Louis Massignon,
toutes les formes de l’art de l’Islam sont une " allusion concise au Nom
ineffable ". On sait que si le saint Coran peut apparaître abrupt dans ses
formulations, pour un lecteur occidental, c’est pour la raison qu’il est
implicite et qu’il convient de le lire " en profondeur ". De la même
manière on ne peut aimer l’art islamique que dans cette dimension de
" l’allusion concise " dont parle Louis Massignon.
L’art de l’Islam est allusif, il est
aussi " affleurement ", il est surtout humilité devant Celui qui est Toute
Grandeur, et cette humilité se traduit dans le choix des matériaux souvent
périssables, comme le stuc ou le plâtre, et jusque dans les instruments, car
"la pauvreté de l’instrument n’est autre que celle du serviteur (‘abd)
alors que la beauté de l’Oeuvre ne peut être que le reflet de la qualité du
Seigneur (rabb) ".
Le Rocher et le
Centre
Les deux " centres " du monde musulman
sont le rocher du Moriah, à Jérusalem, sur lequel s’élève la mosquée appelée
Dôme du Rocher - l’appellation " Mosquée de Omar " est erronée - et la
pierre noire insérée dans la Kaaba, à La Mecque.
Ce " cube " (qui est la traduction
même du mot Kaaba), irrégulier, est revêtu chaque année d’un nouveau
" vêtement " (kiswâ ), toujours noir et brodé de fils d’or.
C’est le centre terrestre de la
communauté musulmane. Ces quatre angles figurent les quatre points
cardinaux. Il est traversé par un " axe " qui est en quelque sorte l’axe du
ciel, puisque la Kaaba en est l’extrémité inférieure et que cet axe traverse
tous les cieux jusqu’au Trône divin. Au centre de la Kaaba se trouve donc le
centre du monde terrestre.
On peut dire que la Kaaba est le
centre liturgique de l’Islam.
Elle est aussi l’origine de l’Islam ,
puisque la Kaaba fut élevée par Abraham, aidé par Ismaël, et même l’origine
de toutes les religions monothéistes, dès lors que Abraham est " le Père de
tous les croyants ".
Le Rocher du Moriah rappelle également
Abraham, puisque c’est sur cette pierre qu’il esquissa le sacrifice d’Ismaël
- et non d’Isaac, comme il est rapporté dans l’Ancien Testament. C’est au
Moriah aussi que le prophète de l’Islam eut son " Ascension ", l’isrâ’
.
Quant au Dôme du Rocher, à Jérusalem,
il a ceci de remarquable que malgré une influence byzantine évidente, il
s’inscrit dans une symbolique typiquement islamique. Sous la coupole qui
symbolise le Ciel, on trouve 4 piliers et 12 colonnes, un déambulatoire
composé de 8 piliers et de 16 colonnes, ce qui donne un total de 40, qui est
le nombre des abdâl , ces " piliers " de la communauté islamique qui se
succèdent de siècle en siècle. A quoi s’ajoutent les 4 portails figurant les
quatre points cardinaux.
Du " Voyage nocturne "
du prophète de l’Islam à la Caverne des Ahl al-Kahf
La Caverne figure le cœur de l’homme,
son " secret ", son centre intérieur. On retrouve ce même motif aussi bien
dans " l’ascension " (isrâ’ ) du prophète Mohammed que dans le
sommeil des Sept bienheureux jeunes gens, " emmurés vivants ", les Ahl
al-Kahf . On le retrouve très explicite, comme nous le verrons, dans un
élément liturgique de la mosquée, le mihrâb.
La Caverne permet le passage aux
mondes supérieurs. C’est vrai dans le " Voyage nocturne " du prophète de
l’Islam. La tradition rapporte que le Prophète, alors à la Mecque, fut
transporté à Jérusalem, sur une animal fabuleux appelé Burâq , qu’il pria
ensuite sur l’emplacement du Temple, puis qu’il fut élevé par l’ange
Gabriel, à partir de la caverne sous le Rocher du Moriah, à travers les
" sept cieux ", jusqu’au " Lotus de la limite extrême " : " Il était à une
distance de deux portées d’arc - ou moins encore - et il révéla à son
serviteur ce qu’il lui révéla.
Le cœur n’a pas inventé ce qu’il a vu.
Allez-vous donc élever des doutes sur ce qu’il voit " (LIII, 9-12).
C’est vrai aussi pour les saints
Dormants visités, " enseignés ", tout au long de leur sommeil, par le
Seigneur des Mondes. Ces saints Dormants, les " Gens de la Caverne ", sont
les VII Dormants d’Éphèse, martyrs chrétiens, qui forment le motif central
de la sourate XVIII du saint Coran. En Islam, ce sont des Témoins de la
résurrection des corps, puisque Dieu les a réveillés après 309 ans de
sommeil miraculeux. Leurs sanctuaires sont répandus de la Bretagne à la
Chine, de la Finlande au Yémen, dans l’Orient chrétien et musulman aussi
bien que dans l’Occident latin.
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