BIOGRAPHIE D'ARMEL GUERNE

établie par Charles Le Brun

Sommaire

Un poète dans la Résistance

Jeanne Gabrielle Berruet, "Pérégrine"

Armel Guerne, traducteur

Armel Guerne, poète

Ses maîtres : Novalis ; Paracelse ; Bernanos

Un frère : Nerval

Documents littéraires

Charles Le Brun : Un témoignage

Armel Guerne : Les Jours de l'Apocalypse

Armel Guerne, Conseils pour une traduction des oeuvres complètes de Paracelse

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Retour à Armel Guerne 

1911. - Le 1er  avril, naissance d'Armel Eugène Guerne à Morges, en Suisse (près de Lausanne, sur les bords du Léman), dans le canton de Vaud. Son père : Marc Denis Guerne, ingénieur, est suisse. Sa mère, Aimée Angèle Gohard, est française, originaire de Nantes. Un frère : Alain, né une année avant lui (9 mars 1910) et une sœur : Arlette, née un an après (10 août 1912)

Début de scolarité au lycée de Morges.

1918. - Le 20 décembre, divorce des parents. Alain et Armel restent avec leur père.

1920. - Son père quitte la Suisse et vient s'installer près de Paris, à Poissy (où il est directeur d'une grande usine de pièces détachées Renault), puis à Saint-Germain-en-Laye. Armel a alors neuf ans.

1926. - Armel entre au collège de Saint-Germain-en-Laye où il sera l'élève de Marcel Roby (ce collège portera plus tard le nom de cet homme). Il retrouvera Marcel Roby, en octobre 1943, au camp de transit de Compiègne, arrêté comme lui par la Gestapo.

Vers 1928. - Armel Guerne refuse de faire des études commerciales et se désintéresse de l'usine. Pour cette raison, âgé de 16 ou 17 ans, il est mis à la porte de la demeure familiale par son père.

Il poursuit ses études grâce à l'aide de Madame Zulficar, la mère de Mounir Hafez - son meilleur ami (Madame Zulficar est la tante de la femme du roi d'Egypte, Farouk à cette époque. Mounir Hafez mourra le 1er janvier 1998 à l'âge de 87 ans. Dans l'avis obituaire, il est nommé "Prince Mounir Hafez"). Année de préparation au baccalauréat.

1929-30. - Il passe 9 mois en Syrie, au collège de Tartous où il est lecteur de français tout en assurant les fonctions de professeur de gymnastique.

1930. - A son retour en France (il embarque sur un bateau à bord duquel il travaille) il fonde à la Sorbonne, avec le docteur Roger Frétigny et quelques amis, le Groupe d'Etudes Psychologiques. Fondation aussi des Editions du Grenier .

1934. - Parution de son premier livre : Oraux. Il rencontre le philosophe Paul-Louis Landsberg et le peintre André Masson, et se lie d'amitié avec eux. Il rencontre aussi Paul Eluard, Georges Bataille « des hommes de lettres trop légers », et André Breton.

Vers la même époque, il fait la connaissance de Jeanne Gabrielle Berruet, dite Pérégrine, originaire d'Angers, née le 30 septembre 1907. Elle professe dans un cours complémentaire, en province, de 1927 à 1931. Au moment de son arrestation, le premier juillet 1943, elle travaille au lycée de garçons, 87, boulevard Arago à Paris (cours de perfectionnement pour enfants arriérés). Elle sera, après la guerre, la secrétaire bénévole de Georges Bernanos (Jean-Loup Bernanos se rappelle qu'en Tunisie, en 1947, alors qu'elle dactylographiait Le Dialogue des Carmélites, elle veillait aussi sur son travail d'écolier) et donnera aussi son temps au Chanoine Osty pour la mise au propre de sa traduction de la Bible (22 volumes, aux Editions Rencontre, 1970).

1938. - Traduction des Hymnes à la Nuit de Novalis, chez G.L.M.. Frontispice d'André Masson. Il fait la connaissance d'Albert Béguin (par lettre, en 1940, en donnant des extraits de sa traduction des Elégies de Duino de Rilke à la revue Esprit).

1938. - Le Livre des quatre éléments chez G.L.M.

1939-1945. - Voir Un poète dans la Résistance

1946. - Parution de Danse des Morts à la Jeune Parque.

1947. - Rencontre au café de Flore, à Saint-Germain-des-Prés, de Ellen Guillemin Nadel, fille du poète juif-allemand Arno Nadel. Entre-temps, Maïthé l'a quitté (voir Un poète dans la Résistance).

Vers 1948. - Liens d'amitié avec Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, Régine Crespin et son mari, le germaniste Lou Bruder.

1949. - Traduction de Europe ou la Chrétienté de Novalis.

1950. - Traduction de Mardi de H. Melville. Traduction des Hymnes et Elégies de Hölderlin. Traduction de Redburn de Melville. Traduction des Hymnes à la Nuit de Novalis. Epoque où Guerne collabore à la revue « Janus » fondée par Daniel Mauroc.

1951. - Traduction de Moi et ma cheminée de Melville. Traduction de White Jacket du même auteur.

1952. - Traduction de Lettres à une musicienne de Rilke ; de Croisière de Virginia Woolf ; du Cirque Humberto d'Eduard Bass ; du Retour de l'âme prodigue.

1953. -  Traduction de Métaphysique du sentiment de Theodor Haecker ; de Je crois en Dieu de Josef Pieper et Henri Raskop ; du Nuage d'inconnaissance d'un moine anonyme anglais du XIVe siècle.

1954. - En août/septembre, Guerne est au château de madame Manceron, à Vimines-par-Cognin (Savoie). Il y travaille (et y achève ?) la traduction de  Moby Dick de Melville. Parution de La Nuit veille chez Desclée de Brouwer. Guerne a-t-il connu le philosophe roumain E.M. Cioran à cette époque ? Une correspondance régulière s'établit entre eux dès cette date.

1955. - Traduction de U.S.A. d'Emile Schulthess.

1956. - Traduction des Romantiques allemands (Hölderlin, Jean-Paul, Tieck, etc.) ; des Elégies de Duino de Rilke (en fait Guerne avait entamé ce travail bien antérieurement ;  il a dit et écrit qu'il y avait passé dix ans) ; de l'Histoire des peuples de langue anglaise de Sir W. Churchill (4 vol.).

1957. - Parution du Temps des Signes chez Plon. Traduction de Réalités et Vérité de Friedrich Heer ; du Rêve dans le pavillon rouge de Ts'ao Siue-Kin (2 vol. dont le second ne paraîtra qu'en 1964, émaillé de fautes grossières, Guerne n'ayant pas été prévenu de sa sortie et n'ayant pas eu accès aux épreuves).

1958. - Traduction de Afrique d'Emile Schulthess (2 vol.) ; de La Panne de Friedrich Dürrenmatt ; Préface pour Ronchamp d'Urs von Balthasar. Vers octobre : séjour à l'abbaye bénédictine Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire, dans l'Yonne, où sont installées les Editions du Zodiaque. Il y fait la connaissance de Dom Claude Jean-Nesmy avec qui il correspondra jusqu'à sa mort.

1959. - Traduction de Confession créatrice de Paul Klee ;  de La Promesse de Dürrenmatt ; de Konjaku de Minamoto no Takakuni ; de Emaki (rouleaux peints japonais).

1960. - Achat d'un moulin à vent dans le Lot-et-Garonne pour 1 000 frs de l'époque (100 000 anciens francs) et le restaure. Traduction de Interférences (Kandinsky) ; de L'Invention du monde d'Albert Bettex ; de Pays de neige et de Une nuée d'oiseaux blancs de Kawabata.

1961. - 14 février : "jour qu'on place le chapeau du moulin". La Dépêche du Midi y consacre toute une page avec photographies. Guerne commence à habiter sa nouvelle "demeure" tout en gardant son logement parisien, 26, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, Paris V°. Les travaux de restauration du moulin avancent. Parution du Testament de Perdition chez Desclée de Brouwer. Traduction du Juge et son bourreau de Dürrenmatt ; du Soupçon du même auteur; des Vierges romanes au Zodiaque.

1963. - Traduction des Récits hassidiques de Martin Buber ; du Tao Tê King de Lao Tseu ; de En personne de Wols ; de La Nuit autour de ma maison de Karlheinz Deschner.

"Je n'ai plus d'appartement à Paris depuis avril. Sans regret. Le moulin, dans son paysage, est un lieu d'élection que j'apprends chaque jour à apprécier un peu plus. Le silence magnifique. La quasi-solitude. La gentillesse humaine des gens alentour..."

1964. - Le 1er avril, Guerne quitte définitivement son appartement de la rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Il en est chassé. Traduction de Poèmes et Sonnets de Shakespeare.

1965. - Traduction de Picasso à l'œuvre d'Edward Quinn et Roland Penrose. Mise en chantier des Jours de l'Apocalypse en août.

1966. - Nerval (choix de textes, présentation et notes). Traduction du Chant sacré des heures (hymnes du bréviaire monastique en appendice de : Il y eut un soir il y eut un matin d'Æmiliana Löhr).

1967. - Parution des Jours de l'Apocalypse aux éditions du Zodiaque. Traduction du Livre des Mille et une Nuits (6 volumes). Traduction des Contes de Grimm ( 2 vol.) ; de Florence sans soleil de Karlheinz Deschner.

1968. - Mort de son grand ami - son aîné d'une dizaine d'années - le docteur Jacques-Emile Emerit (éminent acuponcteur et homéopathe, auteur d'une série d'ouvrages remarquables sur l'art des aiguilles) qu'il semble avoir connu pendant la guerre. Emerit est probablement l'homme qui lui a fait découvrir Paracelse.

1969. - Traduction de Dr. Jekyll et Mr. Hyde (et autres nouvelles) de Stevenson.

1970. - Traduction de Pensées et Aphorismes d'Henri Nouveau (le peintre et musicien Henrik Neugeboren).

1971. - En avril, il commence à souffrir d'un ulcère à l'estomac.

1972. - Séjour de deux mois à l'hôpital de Marmande (début janvier à début mars). Une grippe sur une crise d'emphysème, séquelles des prisons allemandes et du bain forcé dans une rivière, en janvier 44, lors de son évasion, afin d'échapper aux SS ; puis opération d'une hernie. Mort de sa mère en mars. Suicide de Kawabata en mai. Reparution des Elégies de Duino  auxquelles on demande à Guerne de joindre les Sonnets à Orphée (Rilke) ; traduction de Méditation et action du Tibétain Chögyam Trungpa. En octobre, édification d'un château d'eau sur le magnifique site où s'élève le moulin : "Une tache sur le tapis magique" (in lettre à Pérégrine).

1973. - Traduction de Fragments de Novalis. Guerne souffre toujours de son ulcère à l'estomac. Remise du prix Mac Orlan.

1975. - Traduction des Œuvres complètes de Novalis (2 vol.) chez Gallimard. Grand prix de la traduction Halpérine Kaminski.

1976. - Traduction de La Marquise d'O... de H. von Kleist. En décembre, visite de Dom Claude Jean-Nesmy au Vieux Moulin.

1977. - En début d'année, il va passer deux mois chez sa sœur, dans le Perche, à cause du froid et de sa santé qui décline. Parution du Jardin Colérique, de Rhapsodie des fins dernières et de L'Âme insurgée, écrits sur le romantisme (recueil de préfaces) chez Phébus. Juillet : nouveau séjour à l'hôpital de Marmande. Septembre : il se rend au Centre de Cambo-les-Bains pour tenter d'améliorer sa respiration. Un mois de soins. Fin d'année, Guerne s'installe au presbytère de Tourtrès (où il avait déjà son bureau) à cause de son emphysème, le moulin étant trop humide et l'accès à sa chambre (par échelle de meunier) difficile. C'est aussi cette année-là que paraît The Prosper Double Cross qui raconte l'histoire du réseau PROSPER avec de très nombreux témoignages de Guerne. L'auteur, John Vader, un Australien, ancien de la RAF, avait rencontré Guerne dès 1972, date du début de son enquête.

1978. - Traduction du Territoire de l'homme d'Elias Canetti.

1979. - Parution de A Contre-Monde chez Privat. En automne, nouvelle visite du Père Claude Jean-Nesmy au moulin.

1980. - Le 27 septembre, rupture de l'aorte. Guerne est une nouvelle fois transporté à l'hôpital. A son médecin accouru chez lui et qui recommande ce transport, il a la force de dire qu'il ne le souhaite pas. Et comme le médecin le presse, il articule, dans un tout dernier effort de lucidité : « Non ! » Ce sera son dernier mot. Le 9 octobre, il meurt à l'hôpital de Marmande, entre 7 et 8 heures du matin après un coma de 13 jours. Il est enterré au cimetière de Tourtrès, à quelques pas de son moulin.

1988. - Le 5 janvier, Ellen Guillemin-Nadel meurt à son tour à l'hôpital de Tonneins, d'une rupture d'anévrisme au cerveau suivie d'une hémiplégie avec suspension de la parole. Elle est aussi enterrée au cimetière de Tourtrès.